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  • Photo du rédacteurOlivier Costa

Après une longue séquence de consultations, Emmanuel Macron a nommé Michel Barnier à Matignon. Du côté de l’Élysée, ce choix est justifié par l’expérience et le profil de l’ancien négociateur du Brexit, et par le fait qu’il devrait échapper à une censure immédiate, à défaut de pouvoir lancer de grandes réformes. Il bénéficie en effet du soutien du parti présidentiel et de ses alliés, ainsi que de la droite républicaine, et le RN s’est engagé à ne pas voter la censure avec le NFP – auquel il manque 100 voix pour l’obtenir. S’il est trop tôt pour savoir sur quelles forces Michel Barnier pourra compter, on peut dresser un bilan de la partie de poker-menteur qui a conduit à sa nomination. On distingue quatre gagnants et un grand perdant.

 


Emmanuel Macron : « c’est qui le patron ? »



Le premier gagnant est Emmanuel Macron. Le Président s’est mis dans une situation intenable en prenant l’initiative de la dissolution : elle a en effet abouti à une forte réduction des effectifs de sa « majorité », a permis à la gauche de retrouver des couleurs et a confirmé la tripartition de la vie politique française, et donc l’impossibilité de trouver une majorité parlementaire. Avec la nomination de Michel Barnier, il a toutefois obtenu trois choses. D’abord, il a rappelé, jusqu’au grotesque, qu’il ne se laissait dicter ses choix, sa conduite ou son agenda par personne. On peut s’interroger sur la pertinence de cette attitude martiale et sur les motivations du Président, mais il a réussi à préserver son autorité. Ensuite, alors que les résultats des élections annonçaient une cohabitation, le Président a choisi un premier ministre qui n’est pas un adversaire politique, et avec lequel il pourra travailler. C’est d’autant plus probable que Michel Barnier ne sera sans doute pas candidat aux prochaines élections présidentielles, et ne cherchera donc pas à échapper à tout prix à la tutelle du Président. Enfin, en choisissant Barnier, Emmanuel Macron maintient le cap de son quinquennat. Il n’est en effet pas nécessaire d’attendre la déclaration de politique générale du nouveau premier ministre pour imaginer que les grandes options du gouvernement Attal ne seront pas remises en cause.

 

Marine Le Pen : l’arbitre

 

La deuxième gagnante de cette nomination est Marine Le Pen. Les élections législatives ont été une grande déception pour le RN : arrivé largement en tête des européennes, donné vainqueur des législatives par les instituts de sondages, ayant bénéficié du plus grand nombre d’électeurs, le RN a été privé par le front républicain d’une victoire attendue.



Avec 126 députés, le groupe du RN à l’Assemblée nationale est le plus important, mais il est très isolé. La campagne pour les législatives a aussi démontré que le RN n’est pas prêt à gouverner, avec un candidat premier ministre qui ne maîtrisait pas les dossiers, un programme qui se limitait à la dénonciation de l’immigration et du wokisme, et un grand nombre de candidats aux profils fantaisistes ou inquiétants. Depuis le 7 juillet, le RN est inaudible et tenu en marge des négociations. La nomination de Michel Barnier le remet au centre du jeu. Il ne s’agit pas de dire, comme certains, qu’il est le candidat du RN : il faudra juger sur pièces, voir s’il s’aligne sur les positions du RN sur les questions migratoires et sécuritaires, ou s'il accueille des ministres très droitiers. En revanche, Marine Le Pen est faiseuse de roi, car la nomination de Michel Barnier a été conditionnée par son engagement à ne pas le censurer a priori. Et le gouvernement sera à sa merci, puisqu’elle pourra arguer du moindre motif pour le priver de ce soutien passif.

 

Laurent Wauquiez : le cancre récompensé

 

Le troisième gagnant de la nomination de Michel Barnier est Laurent Wauquiez. Les Républicains traversent une très mauvaise passe, pris en tenaille par un parti présidentiel qui se droitise et un RN qui se « normalise ». LR a fait un score piteux aux législatives (47 sièges) et le parti s'est fracturé, avec le ralliement d’Eric Ciotti au RN.



Wauquiez, qui a dit et répété depuis le 7 juillet que LR n’avait pas vocation à soutenir un premier ministre d’union nationale, et encore moins un candidat issu du NFP, emporte la mise. Le premier ministre appartient en effet à sa famille politique – rappelons que Michel Barnier était candidat à la primaire des Républicains pour les présidentielles de 2022 – et son gouvernement devrait accueillir de nombreux ministres de droite. En outre, comme on l'a indiqué, Barnier ne sera a priori pas un concurrent pour les prochaines élections présidentielles. C’est tout le paradoxe de cette nomination : porter à Matignon un représentant du parti arrivé bon dernier aux législatives et qui a refusé de participer au front républicain.

 

Jean-Luc Mélenchon : le stratège infatigable


Le quatrième gagnant de la séquence est Jean-Luc Mélenchon. Celui-ci n’est motivé que par une perspective : accéder au second tour de l’élection présidentielle, et l’emporter face à Marine Le Pen en bénéficiant du front républicain. A cette fin, il entend maintenir l’union de la gauche et y conserver sa position centrale, pour être le seul candidat du NFP lors des prochaines présidentielles. Il n’a sans doute jamais envisagé sérieusement d’aller à Matignon – même si la perspective était séduisante pour un responsable politique dont l’expérience gouvernementale se limite à un poste de ministre délégué – ni désiré qu’un représentant du NFP y soit nommé.



Le choix d’une parfaite inconnue et l’exigence répétée par les Insoumis qu’elle applique strictement le programme du NFP rendait sa nomination improbable. Jean-Luc Mélenchon n’a en effet aucun intérêt à ce que son parti gouverne, car c’est le plus sûr moyen de créer des tensions irréconciliables avec le PS, qui se traduiraient par une candidature socialiste aux prochaines présidentielles. En outre, chacun sait qu’il est plus facile de gagner une élection quand on siège dans l’opposition que lorsqu'il faut assumer le bilan des sortants. Il n’était, de même, pas question pour Jean-Luc Mélenchon de soutenir Bernard Cazeneuve, qui aurait pu nourrir des ambitions présidentielles. La nomination de Michel Barnier est en somme idéale : elle permettra à LFI de rester dans son rôle d’opposition virulente, dénonçant chaque jour un déni de démocratie et une politique antisociale et islamophobe, et d’apparaître comme le seul rempart contre l’accès du RN au pouvoir.  

 

Les électeurs socialistes : les dindons de la farce


Le grand perdant de l’opération est le PS. Non pas ses responsables, mais ses militants, sympathisants et électeurs. Les huiles du parti ne perdent rien avec la nomination de Michel Barnier, puisque leurs ambitions semblent se limiter à la préservation de leurs sièges à travers l’union de la gauche. Pour les responsables du PS, gouverner avec Lucie Castets ou soutenir Bernard Cazeneuve était la garantie d’engendrer un divorce avec LFI, qui aurait eu des conséquences désastreuses pour eux : la fin de la politique du candidat unique pour les prochaines législatives – 2025 ou 2027 – et les élections locales de 2026 et 2028, et la perte par le PS de la plupart de ses sièges à l'Assemblée et de nombre de villes, départements et régions. Les grands perdants sont les électeurs de la gauche modérée, car le PS a raté le coche. Les résultats de la liste Glucksmann aux européennes étaient prometteurs : après le désastre des présidentielles de 2022 (les 1,69% d’Anne Hidalgo), le PS retrouvait une partie de ses électeurs, un temps séduits par un vote Renaissance ou LFI.



Le PS s’affirmait comme la première force politique de gauche grâce à un discours modéré, républicain et pro-européen – loin des outrances, du populisme et de l’euroscepticisme des Insoumis. Il aurait pu sérieusement prétendre à Matignon, mais il aurait fallu pour cela négocier avec les partis du centre et de la droite, et accepter la rupture avec LFI. Le PS aurait aussi pu soutenir la candidature de Bernard Cazeneuve, mais il a préféré s’en tenir à la ligne imposée par Jean-Luc Mélenchon. Aujourd’hui, Olivier Faure annonce « qu’aucune personnalité du PS ne rentrera dans le gouvernement Barnier ». Le PS s’est donc méthodiquement privé de toute influence politique et de la possibilité de faire émerger un candidat crédible en vue des prochaines présidentielles. Or l’espace politique existe : si Emmanuel Macron a su séduire l’électorat social-démocrate en 2017 et, dans une moindre mesure, en 2022, son successeur n’y parviendra pas, car il sera sans doute issu des rangs de la droite.

 

Vers un retour des sociaux-démocrates ?

 

Une large partie des électeurs de gauche sont donc orphelins. Alors que Macron et Mélenchon constituaient des alternatives acceptables en 2022, ce n’est plus le cas. La droitisation de Renaissance et la radicalisation des Insoumis créent un espace politique pour un candidat social-démocrate, défendant des positions comparables à celles des socialistes ailleurs en Europe – qui sont très éloignées du programme du NFP. Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron ont jusqu’ici, chacun à leur manière, empêché l’émergence d’un candidat de centre-gauche, mais le vent tourne. Le premier est désormais le responsable politique le plus rejeté : selon une récente enquête Ipsos pour Le Monde et le CEVIPOF, Jean-Luc Mélenchon enregistre 83 % de jugements défavorables dont 68 % de « très défavorables », des niveaux jamais atteints par aucun leader politique. Il peinera donc à mobiliser à nouveau l’électorat modéré. Quant à Emmanuel Macron, il sera contraint de quitter la vie politique au plus tard en 2027, et n’a rien fait pour organiser sa succession.


La tripartition de la vie politique française entre gauche, centre/droite et extrême-droite est probablement durable, mais le leadership dans les différents blocs pourrait évoluer : il est possible qu’un candidat social-démocrate s’affirme au sein de la gauche, et il est probable que la droite républicaine referme la parenthèse du macronisme.


Olivier Costa


Après quelques jours de consultations, Emmanuel Macron a déclaré qu’il n’avait pas encore de solution : il écarte l’hypothèse Lucie Castets, et veut poursuivre les échanges avec les responsables des partis – à l’exception du RN et de ses alliés, et de LFI. Les leaders du NFP ont toutefois annoncé qu’ils refusaient d’y participer, et exigent une nouvelle fois la nomination de Lucie Castets, au nom de leur victoire du 7 juillet. On peine toutefois à comprendre de quels soutiens elle pourrait se prévaloir pour gouverner et échapper à la censure. Alors, comment sortir de l’imbroglio ? Mais en nommant Lucie Castets!

 

 

Composition de l'Assemblée nationale (27 août 2024)



Toute réflexion sur la situation politique actuelle doit être structurée par 5 constats objectifs :

 

1.     Aucun parti n’a gagné les élections. Le NFP a une majorité relative, mais c’est la plus faible sous la V° République et il lui manque près de 100 députés pour appliquer son programme et échapper à la censure de l’Assemblée nationale. Il est en effet impossible pour un parti qui compte seulement un tiers des sièges au Palais Bourbon de gouverner sans négocier avec personne. L’idée, notamment, que la réforme des retraites pourrait être abrogée par décret – comme l’a encore affirmé récemment Sandrine Rousseau – vaudrait un zéro pointé à un étudiant de première année en fac de droit. Quant à l’article 49.3 de la Constitution, dont la gauche a si bien dénoncé le caractère attentatoire à la démocratie, il ne peut être utilisé qu’une fois par session parlementaire, en sus des lois de finance. Rappelons enfin qu’il suffit de 289 députés pour renverser le gouvernement ; or, 384 députés ne siègent pas au NFP.

 


Tweet de Sandrine Rousseau (26 août 2024)



2.     L’article 8 de la Constitution laisse entière liberté au Président quant au choix du Premier ministre : il nomme qui il veut, quand il veut. Ni le parlement ni les partis ne sont supposés intervenir dans ce processus, même si le Chef de l’Etat est libre – comme il le fait depuis vendredi dernier – de les consulter, et si, politiquement, il lui revient de nommer un Premier ministre capable de gouverner et d'échapper à la censure.

 

3.     Dans les régimes parlementaires classiques, le parti arrivé en tête des élections a toujours la priorité pour essayer de constituer une majorité. Mais, en aucun cas, il ne peut gouverner en refusant de négocier un programme de coalition avec d’autres partis. Il appartient à son leader de prouver au Chef de l’Etat qu’il dispose d’une majorité, faute de quoi, la mission de constituer un gouvernement est confiée au représentant d’un autre parti. C’est la raison pour laquelle la constitution d’un gouvernement en régime parlementaire est souvent très longue ; à plusieurs reprises, elle a pris plus d’un an chez nos voisins belges.

 

4.     Jean-Luc Mélenchon a proposé que le gouvernement soit dépourvu de ministres Insoumis, afin d’échapper aux menaces de censure que brandissent les autres partis. En échange de cette concession, il exige que ce gouvernement applique exclusivement le programme du NFP et que les leaders des autres formations s’engagent à ne pas déposer de motion de censure. Cette double revendication a été unanimement rejetée et moquée. Rappelons que LFI a déposé pas moins de 26 motions de censure contre les gouvernements Borne et Attal, qui disposaient d’une majorité relative bien plus large que celle du NFP…

 

5.     La représentation parlementaire penche aujourd’hui très à droite. Avec 193 sièges, le NFP est arrivé en tête, mais la droite au sens large (majorité présidentielle, Républicains et RN) compte 339 députés. Il est donc exagéré de dire que les électeurs ont massivement appelé à un coup de barre à gauche : seuls 25,7% se sont prononcés pour des candidats du NFP le 7 juillet dernier – bien moins que pour le RN (32%).

 


 Résultats du second tour des élections législatives, 7 juillet 2024



La seule solution? Nommer Lucie Castets!


Compte tenu de ces 5 éléments, il apparaît que la seule solution raisonnable pour faire avancer les choses serait… la nomination de Lucie Castets à Matignon. Cela peut sembler paradoxal, mais on voit mal comment il sera possible de surmonter la crise politique actuelle sans en passer par là. Ce choix présenterait en effet deux avantages. D’abord, il permettrait d’éviter le blocage du pays que les partis du NFP, les syndicats et certaines organisations de la société civile préparent pour la rentrée. Les appels à manifester le 7 septembre se multiplient. La petite musique de la « dérive illibérale » du Président, entonnée notamment par Marine Tondelier, trouvera en effet un fort écho, compte tenu du degré d’impopularité du Président et d’impatience de nombre de citoyens, et aboutira sans doute à une situation très conflictuelle. En outre, le gouvernement, démissionnaire depuis 42 jours, ne peut éternellement expédier les affaires courantes et, surtout, opérer les arbitrages fondamentaux que réclame la préparation du budget 2025 – alors que la majorité présidentielle a clairement perdu les élections législatives. Il faut nommer un nouveau gouvernement, et vite.



La délégation du NFP à l'Elysée vendredi dernier

 

Le second avantage de la nomination de Mme Castets serait la clarification. En effet, elle n’aurait que deux options.


La première serait le pragmatisme. Elle impliquerait de récuser la ligne politique maximaliste de Jean-Luc Mélenchon, et d’ouvrir de vraies négociations avec les partis politiques du centre et de la droite modérée, pour trouver un accord de coalition. Il inclurait une liste de réformes et une répartition des portefeuilles ministériels. C’est le prix à payer pour obtenir le soutien des autres partis ou, au moins, leur engagement à ne pas censurer immédiatement le gouvernement. Le NFP pourrait avoir satisfaction sur certains points de son programme (réforme des retraites, hausse du Smic, rétablissement de l’ISF ?), mais devrait faire des concessions sur d’autres. A ce compte, un gouvernement dominé par la gauche pourrait gérer le pays et échapper à la censure, en attendant les prochaines élections législatives ou présidentielles.


Si Lucie Castets choisissait de s’en tenir au programme du NFP, même en écartant les Insoumis de son gouvernement et en impliquant des ministres sans étiquette, le vote d’une censure serait inévitable. Les leaders de tous les autres groupes parlementaires ont en effet clairement annoncé leurs intentions à ce propos : la censure immédiate d’un gouvernement prétendant appliquer le programme du NFP. Tout serait à refaire.



La censure, indispensable rappel à la réalité politique et institutionnelle


La première hypothèse semble improbable. Compte tenu des rapports de force au sein du NFP et des dispositions des leaders des autres partis, on voit mal comment un gouvernement Castets pourrait échapper durablement à la censure. Alors, pourquoi la nommer ? Cette censure ajouterait une crise à la crise, et génèrerait la confusion, voire le chaos.

 

Elle présenterait toutefois l’avantage essentiel de ramener l'ensemble des responsables politiques à la réalité. Les leaders du NFP ne pourraient plus prétendre qu’ils ont gagné les élections, qu’ils disposent d’une majorité pour gouverner, qu’ils peuvent appliquer leur programme à coup de décrets ou de 49.3, et que seul Emmanuel Macron les en empêche. Ils seraient confrontés à la réalité constitutionnelle et politique qu’ils nient depuis le 7 juillet. La méthode Coué et la dénonciation de l’arrogance présidentielle engendrent de beaux éditoriaux, des tweets savoureux et des discours enflammés, qui permettent de galvaniser les militants et de convaincre certains citoyens, mais elles n'influent ni sur la constitution ni sur le résultat des élections.


Le rappel à la réalité ne concernerait pas que les leaders du NFP, mais tous les responsables politiques. Aujourd’hui, ils ne pensent qu’aux élections présidentielles de 2027 et à l’éventualité d’une nouvelle dissolution à l’été 2025, et peaufinent leurs stratégies en fonction de ces deux échéances, sans égard pour la situation du pays. C’est notamment le cas de Jean-Luc Mélenchon qui fait pression sur ses partenaires du NFP en vue de possibles élections législatives l’an prochain (sans union, socialistes, communistes et écologistes disparaîtraient quasiment des bancs de l’Assemblée nationale) pour faire perdurer le NFP. Ce faisant, il veut empêcher l’émergence d’une autre candidature que la sienne à gauche, dans l’espoir de l’emporter sur Marine Le Pen au second tour des élections présidentielles de 2027. Mais le leader insoumis n’est pas le seul à jouer au billard à trois bandes : ses homologues du centre, de la droite et de l’extrême-droite sont eux aussi obnubilés par la bataille pour le leadership dans leur parti, la préservation de son poids à l’Assemblée nationale et les perspectives de l’après-Macron.

 

Une motion de censure les obligerait tous à se focaliser sur les problèmes du moment : la négociation d’un accord de coalition et la nomination d’un gouvernement capable de gérer durablement les affaires du pays. Certes, la culture politique française est étrangère à ce type de négociations d’après élections, car jamais la représentation parlementaire n’a été aussi fragmentée sous la V° République. Mais la situation politique a changé, et il faut en prendre acte, plutôt que de le déplorer ou de le nier. Un électrochoc semble aujourd'hui indispensable pour faire évoluer les comportements et les stratégies.



Olivier Costa

Dernière mise à jour : 22 août


A l’issue des Jeux olympiques, Emmanuel Macron a annoncé qu’il recevrait à partir du 23 août les chefs de partis et de groupes parlementaires, en vue de la nomination d'un nouveau gouvernement. Certains ont critiqué sa prétention à vouloir contrôler ce processus. D’autres se sont réjouis de le voir prendre enfin ses responsabilités. Une sortie de crise est-elle possible? A quel prix?

 

 

Un président qui temporise, des Insoumis qui perdent leurs nerfs…

 

Ces derniers temps, de nombreux observateurs et responsables politiques ont vertement reproché à Emmanuel Macron de temporiser et d’ignorer la gravité de la situation politique. Il est vrai que, d’une manière générale, il a toujours aimé imposer son calendrier et son rythme, qui ont rarement été précipités, sauf sans doute pour annoncer la dissolution le 9 juin 2024… En vertu d’un mélange d’orgueil, de considérations tactiques et d’une certaine conception de sa fonction, il ne laisse personne lui dicter la cadence, jouant avec les nerfs des autres responsables politiques. Rappelons que les élections législatives remontent à plus de six semaines, et que le gouvernement Attal est démissionnaire depuis plus d’un mois.

 

Les leaders de LFI ont vu dans la décision d’Emmanuel Macron de ne pas nommer un des leurs à Matignon dès le lendemain du second tour des législatives, puis de ne pas proposer le poste à Lucie Castets, un déni de démocratie. Ils ont considéré que son refus initial d’accepter la démission de Gabriel Attal, puis le renvoi à après les jeux olympiques de la nomination d’un nouveau gouvernement, étaient des provocations. Dimanche dernier (La Tribune, 17 août 2024) ils ont ainsi annoncé leur volonté de lancer une procédure de destitution du Président, pour sanctionner ce comportement.

 

 

Un avion tractant une banderole avec la mention "destitution" a survolé le littoral de la Côte d'Opale le 17 août 2024.

 

 

Une procédure de destitution qui n’aboutira pas

 

Cette procédure n’a aucune chance d’aboutir. L’article 68 de la constitution qui la prévoit a été introduit en 2007, dans le cadre d’une réflexion globale sur le statut pénal du Président de la République, menée par la Commission Avril. Selon la constitution de 1958, le Président est par principe irresponsable devant le Parlement, au nom de la séparation des pouvoirs, mais il peut être démis pour « haute trahison » – en plus de sa responsabilité personnelle pénale et civile. Les tenants de la réforme de 2007 ont jugé utile de remplacer cette notion très vague par celle de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de ses fonctions ». Il reste que la procédure de destitution ne vient pas sanctionner un désaccord politique, mais démettre un Président qui prendrait trop de libertés avec la constitution et ses obligations, ou serait incapable d’exercer son mandat.

 

Afin d’éviter les usages politiciens de la procédure, celle-ci est très exigeante : une proposition doit être faite par 10% des députés ou sénateurs ; elle doit être validée par le bureau de l’assemblée concernée ; elle doit être examinée par la commission des lois ; et surtout elle doit être adoptée à la majorité des deux tiers des membres de chaque chambre. Il faut donc que la destitution soit approuvée par 387 députés et 234 sénateurs. Autant dire que la proposition des responsables de LFI ne peut en aucun cas aboutir. C’est un coup de communication comme Jean-Luc Mélenchon les affectionne, qui lui permet de rester au centre du jeu politique en vue des prochaines élections présidentielles.

 


Emmanuel Macron reprend l’initiative

 

Le Président a toutefois annoncé le 16 août sa volonté de convier « les présidents des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat ainsi que les chefs de partis représentés au Parlement pour une série d’échanges » afin de tenter de constituer un gouvernement. L’Elysée a annoncé, mardi 20 août, que « la nomination d’un Premier ministre interviendra dans le prolongement de ces consultations et de leurs conclusions ».


Palais de l’Elysée

 


Une première réunion est prévue vendredi 23 août le matin, avec les quatre formations du Nouveau Front populaire (NFP) - les forces politiques étant reçues par ordre d'importance à l'Assemblée. Leurs leaders ont annoncé qu’ils se rendraient collectivement à cette invitation, accompagnés de Lucie Castets ; l’Elysée a accepté sa présence, bien qu’elle ne soit ni parlementaire ni responsable de parti. Une deuxième réunion est prévue lundi 26 août, avec les dirigeants du Rassemblement national (RN) – Marine Le Pen et Jordan Bardella – et leur allié de droite Eric Ciotti.

 

Le député Renaissance Jean-René Cazeneuve a affirmé que les élus du camp présidentiel étaient « prêts à des compromis » avec les socialistes pour permettre l’émergence d’une coalition, mais en rappelant qu’un gouvernement impliquant des députés LFI serait immédiatement censuré par son parti. Le 20 août, Raphaël Glucksmann, cofondateur de Place Publique et tête de liste socialiste aux élections européennes, a appelé la gauche à « négocier des compromis » et à s'affranchir de Jean-Luc Mélenchon (Le Point).

 


Lucie Castets, entourée de la secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts, Marine Tondelier, et d’Aurélien Le Coq, député LFI, à Lille, le 27 juillet 2024 (L. Pastureau/H. Lucas, Le Monde) 

 

La démarche du Président est-elle légitime ?

 

Certains à gauche estiment que ce n’est pas ainsi que cela doit se passer, et qu’il revient à Emmanuel Macron de nommer Lucie Castets sans y mettre de conditions ni essayer d’intervenir dans la constitution du nouveau gouvernement. C’est l'une des justifications avancées par les responsables de LFI – Jean-Luc Mélenchon, Manuel Bompard et Mathilde Panot – pour proposer une destitution.

 

Mais les réunions annoncées n’ont rien de contraire à la constitution, qui laisse les mains libres au Président quant à la manière dont il entend choisir le Premier ministre, et au calendrier pour le faire. L'article 8 n'encadre en effet pas cette procédure : « Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions ». Et ni la constitution ni la tradition politique ne prévoit que le Parlement ou les partis auraient vocation à proposer ou imposer des noms.

 

Ensuite, politiquement parlant, ces réunions semblent plus que nécessaires et urgentes. Depuis le début de l’été, tout le monde estime, à raison, que la V° République doit fonctionner de manière plus « parlementaire », pour prendre acte de la situation politique : un Président qui a perdu son pari en dissolvant l’Assemblée nationale ; une absence de majorité ; une coalition (le NFP) arrivée en tête mais qui est loin de la majorité absolue (193 sièges, alors qu’il en faut 289 pour gouverner sereinement) et dont la cohésion interne est limitée par de profondes divergences sur les questions européennes et internationales, la réforme des retraites, le nucléaire… Les autres partis n’ont montré aucun signe d’entente, la droite étant particulièrement divisée sur la conduite à tenir et réservée quant à l’idée de participer à une coalition. L’extrême-droite est pour sa part marginalisée.

 

Il faut donc envisager les différentes possibilités, clarifier les positions et faire émerger des points de consensus. Et cela ne se fera pas spontanément, dans un pays qui est habitué à la confrontation politique. En France, les coalitions – telles que le NFP ou Ensemble ! – sont habituellement négociées avant les élections ; dans les régimes parlementaires, elles le sont après, au terme d’un processus où les partis essaient de se mettre d’accord sur un programme et un gouvernement. Ce sont deux approches différentes de la vie politique, qui ont chacune leurs vertus et leurs défauts. En l’absence de majorité, la France doit tout simplement changer de modèle, car le premier ne fonctionne plus.

 

 

L’initiative d’Emmanuel Macron n’aura de sens qu’à deux conditions

 

Pour que les réunions prévues dans les jours à venir permettent d’aboutir à la nomination d’un gouvernement capable d’agir et d’échapper à la censure, deux conditions doivent être remplies.

 

Il faut d’abord que les responsables politiques aient une vraie volonté de dialogue. Cela implique, au NFP, d’en finir avec l’approche radicale portée par LFI et de se montrer ouvert à la discussion avec les autres partis, situés plus au centre et à droite. Les leaders insoumis restant sur l’idée que le gouvernement devra appliquer le programme du NFP, rien que ce programme et tout ce programme, il convient que la ligne portée par Raphaël Glucksmann s’impose. Lucie Castets s’est montrée suffisamment prudente et réaliste pour que cela soit possible, comme l’attestent ses déclarations récentes à Libération (20 août 2024); elle se dit en effet prête à « créer du consensus ».

 

Il faut, ensuite, que le Président accepte réellement d’entrer dans une ère parlementaire. Quel que soit le futur Premier Ministre, il devra se mettre en retrait sur les questions de politique intérieure et laisser le gouvernement gouverner. Car rien dans la constitution ne prévoit que le Président s’implique dans la gestion quotidienne des affaires : c’est une simple pratique qui s’est développée sous la V°, en raison du tempérament particulier de Charles de Gaulle, d’abord, puis du fait que ses successeurs étaient tous des chefs de partis et, de fait, les leaders de la majorité parlementaire (sauf situation de cohabitation). Dans d’autres pays européens où le Président est élu au suffrage universel direct – Finlande, Autriche, Portugal… – tel n’est pas le cas : c’est une personne située plus en retrait du débat politique, qui laisse son Premier Ministre gouverner et veille à la préservation des institutions et de l’intérêt général.

 

Emmanuel Macron ne peut plus prétendre à la confusion des rôles qui a dominé la V° République, et qui amène le Premier Ministre à être un simple « collaborateur » du Président, et ce pour trois raisons. D’abord, son parti a perdu les élections législatives, avec un nombre de députés en fort recul : il serait paradoxal qu’il continue à décider de tout. Ensuite, le Président est très impopulaire dans l’opinion publique : s’il nomme un Premier Ministre proche de lui, celui-ci sera immédiatement disqualifié aux yeux d’une majorité d’électeurs, quel que soit son programme. Enfin, le Emmanuel Macron est un épouvantail à l’Assemblée nationale comme au Sénat : si le gouvernement est perçu comme étant à ses ordres, celui-ci sera incapable de faire adopter des textes et d’échapper à la censure. Il faut donc un Premier Ministre de cohabitation, qui ne prenne pas ses instructions à l’Elysée.

 


En finir avec l’élection du Président au suffrage universel direct ?

 

Pour sortir de la crise politique que rencontre le pays, il faut accepter un vrai fonctionnement parlementaire de nos institutions, qui sont suffisamment souples pour cela. Il convient de distinguer clairement les rôles de Chef de l’Etat et de chef de la majorité. Durant les trois premières cohabitations, François Mitterrand et Jacques Chirac y étaient parvenus, en se repliant sur les questions européennes et internationales, et les enjeux de sécurité et de défense. Emmanuel Macron devra s’y résoudre lui aussi, et ce même si aucun parti ne l’a emporté le 7 juillet dernier.

 


Campagne référendaire de 1962 (photo archives RL)

 


A plus long terme, si la « tripartition » NFP / Centre-LR / RN se stabilise, il faudra que les partis français en finissent avec leur obsession présidentielle. L’élection présidentielle doit devenir, comme en Autriche, en Finlande ou au Portugal, la simple désignation d’un leader respecté, capable d’assurer le bon fonctionnement des institutions et de promouvoir l’intérêt général, et non d’un chef de parti, désireux de gouverner et de se mêler de tout. Mais on peut douter que ce soit possible, tant les responsables politiques français sont obsédés par la perspective d’un destin élyséen. Il faut sans doute en finir avec l’élection du président au suffrage universel direct. Rappelons qu’elle n’était pas prévue par la constitution de 1958, mais qu'elle découle d’une réforme constitutionnelle de 1962 voulue par Charles de Gaulle pour surmonter une crise politique. Les institutions de la V° République peuvent donc très bien fonctionner sans cette élection.


Olivier Costa

 

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