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Photo du rédacteurOlivier Costa

Dernière mise à jour : 24 sept.


Samedi soir, 21 septembre 2024, les citoyens français ont découvert la composition du gouvernement Barnier – onze semaines après les résultats du second tour des législatives qui avaient ouvert une crise politique sans précédent sous la V° République. L’annonce, qui devait soulager tous ceux qui doutaient de la possibilité d’un accord, n’a pas suscité beaucoup d’enthousiasme. Le gouvernement Barnier souffre en effet d’un triple handicap : il réunit des perdants, il traduit les tensions entre le Président et le Premier ministre, et il fait la part belle aux seconds couteaux.

 

 

1.     Un gouvernement dominé par les perdants des législatives

 

J’ai longuement expliqué dans les colonnes de ce blog pourquoi le Nouveau Front Populaire (NFP) ne pouvait pas prétendre gouverner sans prouver sa capacité à réunir une majorité, ou du moins, à ne pas être immédiatement censuré par l’Assemblée nationale. Dans aucun régime démocratique au monde le fait pour un parti ou une coalition d’être arrivé premier à une élection législative ne l’autorise à gouverner s'il ne dispose pas d’une majorité absolue. Cela lui donne simplement une priorité dans la négociation d’une coalition destinée à trouver une telle majorité. Si cette force politique n’y parvient pas, il appartient à une autre d’essayer. C’est ce qui s’est, par exemple, passé en Espagne l’an passé, où la droite, arrivée en tête aux élections législatives, a échoué à former une coalition ; la tâche a donc été confiée aux socialistes, qui sont au gouvernement aujourd'hui.

 

Le NFP est arrivé, en tant que coalition, premier des élections législatives, mais il n’a pas prouvé sa capacité à trouver une majorité ou, du moins, à pouvoir échapper à une censure rapide. En effet, l'Assemblée nationale est aujourd'hui découpée en trois tiers: un pour la gauche, un pour le centre-droit et la droite de gouvernement, et un pour l'extrême-droite. Un bloc ne peut gouverner que si un autre s'engage à ne pas le censurer immédiatement.



Certes, Emmanuel Macron aurait dû charger officiellement Lucie Castets de la mission de composer un gouvernement : cela lui aurait donné plus de poids dans ses négociations avec les autres forces politiques et aurait clarifié la situation politique. Cela étant, dans la mesure où tous les autres partis, de Renaissance au RN, avaient annoncé qu’ils refuseraient de soutenir un gouvernement impliquant des ministres LFI ou prétendant appliquer le programme du NFP, c’était perdu d'avance. Il aurait fallu pour cela que Mme Castets rompe avec M. Mélenchon, ce à quoi elle s’est refusée. La gauche n’étant pas en situation de gouverner, Emmanuel Macron a testé diverses hypothèses, et a fini par arrêter son choix sur Michel Barnier. S’il semblait également impossible à celui-ci de trouver une majorité active, il paraissait pouvoir échapper à la censure, fort du soutien des partis de droite, du centre et de Renaissance, et de la décision des leaders du RN de ne pas se joindre à la motion de censure que le NFP promettait de déposer immédiatement.


Assez tôt, il est apparu que Michel Barnier ne parviendrait pas à trouver des ministres à gauche, le NFP ayant menacé ceux qui se laisseraient tenter. Il n’a sans doute pas déployé une énergie excessive à cette tâche, sachant que l’inclusion dans son gouvernement de quelques personnalités venues de la gauche ne changerait rien à l'hostilité du NFP. C’était aussi le plus sûr moyen de créer des tensions avec Les Républicains (LR), voire de s’aliéner le RN. La présence de la gauche se limite donc à Didier Migaud, Garde des sceaux ; toutefois, il s’était retiré de la vie politique depuis 2010 pour présider la Cour des comptes puis la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.



A l’arrivée, le gouvernement est presque exclusivement composé de membres issus du camp présidentiel et de LR – qui ont pourtant tous deux connu une sérieuse déconvenue aux législatives. Le groupe « Ensemble ! » compte en effet 96 députés (en recul de 82) et le groupe « Droite républicaine » 47 (en recul de 9) ; même avec « Les Démocrates » (36 députés), « Horizons » (33) et « LIOT » (22) – qui a toujours pris ses distances avec Michel Barnier – le gouvernement peut, au mieux, compter sur 234 voix, très loin de la majorité absolue (289). L'équipe reflète ces soutiens : elle compte 12 membres Renaissance, 10 Les Républicains, 4 divers droite, 3 Modem, 2 Horizons, 2 UDI, 2 LIOT, 1 Parti radical, 1 divers gauche et 2 sans étiquette. Le gouvernement penche donc clairement à droite, avec quelques membres au profil très conservateur – tels que Bruno Retailleau au ministère de l’Intérieur ou Laurence Garnier au secrétariat d’État à la consommation. On remarque aussi que sept ministres sortants, et non des moindres (Rachida Dati à la Culture, Sébastien Lecornu aux Armées), sont reconduits, comme si le gouvernement Attal n’avait pas été désavoué par les électeurs. Il n’y a donc ni alternance, ni cohabitation.


La composition politique du gouvernement Barnier

 

 

2.     Un gouvernement qui révèle les tensions entre MM. Barnier et Macron

 

Dans un « vrai » régime parlementaire, un Président dont le parti aurait été doublement désavoué (européennes et législatives) aurait confié la tâche à M. Barnier de former un gouvernement et se serait abstenu d’interférer dans le processus pour se placer au-dessus de la mêlée. Il aurait simplement veillé à ce que le gouvernement puisse durer un peu – on ne nomme pas une équipe promise à une censure immédiate – et, éventuellement, aurait demandé discrètement le retrait de tel ou tel nom, s’il estimait leur nomination contraire aux intérêts ou aux valeurs du pays. En France, compte tenu de la tradition du « domaine réservé », il était aussi logique que le Président valide le choix des ministres des affaires étrangères, des affaires européennes et de la défense – comme ce fut le cas lors des trois cohabitations de 1986-1988, 1993-1995 et 1997-2002.


Une telle attitude de retrait aurait été d’autant plus logique que M. Macron est à l’origine de la pagaille actuelle : c’est largement lui qui a été désavoué à travers le piteux score de la liste Renaissance aux élections européennes ; il a décidé de dissoudre sans consulter qui que ce soit et sans écouter les mises en garde ; les mauvais résultats des candidats « Ensemble ! » aux législatives lui sont aussi largement imputables. Et pourtant, M. Macron se comporte comme un chien qui, ayant consciencieusement démoli un canapé pour tromper son ennui, prend un air étonné à l’arrivée de son maître, et se propose d'aller pourchasser le vandale.

 


 

En effet, depuis le résultat des élections européennes, Emmanuel Macron se pose en sauveur de la République : en prononçant la dissolution ; en se mêlant de la campagne pour les législatives ; en décidant unilatéralement que ni Mme Castets ni M. Cazeneuve ne trouverait de majorité ; en choisissant Michel Barnier ; et en s'immisçant dans les difficiles négociations entre celui-ci, Renaissance et les Républicains.

 

Le Président aurait pu prendre acte de son impopularité. Se mettre au vert, ne plus s'adresser au pays pendant tout l'été, et laisser M. Barnier négocier. Il aurait pu, aussi, appeler de ses vœux un changement de mode de scrutin aux élections législatives avant le prochain scrutin, de façon à tirer le PS, les Verts et le PC des griffes de M. Mélenchon, ou les amis de M. Ciotti de celles du RN. Le mode de scrutin proportionnel permet en effet à chaque parti de concourir seul aux élections législatives – comme c'était le cas aux dernières européennes, où toutes les composantes du NFP ont présenté leur propre liste. Dans cette configuration, les négociations en vue de la composition d'un gouvernement s’ouvrent une fois les résultats des législatives connus, en fonction des scores de chacun, dans le but de trouver une majorité et de définir un programme de coalition.


Avec le mode de scrutin actuel, LFI peut faire survivre artificiellement le NFP en menaçant ses partenaires de présenter des candidats contre les leurs lors des prochaines législatives, ce qui réduirait considérablement leur chance de succès. L’unité reste donc la norme, afin de satisfaire les intérêts électoraux de chacun et les ambitions de M. Mélenchon – qui entend être le seul candidat de gauche aux prochaines présidentielles. Mais elle interdit aux autres composantes du NFP de dialoguer avec les forces politiques situées plus à droite qu’elles. Avec la perspective d’un passage à la proportionnelle, le PS et les Verts auraient pu dialoguer avec Renaissance, le Modem et l’UDI pour envisager une coalition au centre – comme cela se fait dans la plupart des démocraties européennes. Mais ni M. Macron, ni M. Barnier n’a proposé cette réforme, qui aurait déverrouillé la situation.



A l’arrivée, le gouvernement reflète avant tout la bataille d’influence entre le Premier ministre et le Président. Le premier estime être en « cohabitation », ce qui suppose une totale liberté d’action, tandis que le second évoque une « coexistence exigeante », qui préserve son influence. Le Premier ministre, loin d'avoir pu construire un gouvernement d’union, en piochant dans les différentes familles politiques et dans la société civile, a été soumis à un double tir de barrage de la part des Républicains – dont tous les cadres se voyaient ministre et qui exigeaient les postes régaliens pour leur parti – et de Renaissance – dont les responsables entendaient que certains ministres soient reconduits et menaçaient de quitter le navire si des « lignes étaient franchies ». Le gouvernement présente donc un équilibre entre les partis des deux leaders de l'exécutif. Le principe du « domaine réservé » du Président a été respecté, puisque tous les ministres concernés sont des proches d’Emmanuel Macron. Le Premier ministre s’est alloué quant à lui un droit de regard sur des ministères-clés – budget, Outre-Mer, Europe.

 

Contrairement à ce qui prévaut dans les régimes parlementaires, le gouvernement Barnier n’est pas assis sur un pacte de coalition : il n’y a pas de programme législatif ou même d’accord sur des objectifs et valeurs. Il y a juste de vagues engagements et un rapport de force entre LR et Renaissance, via MM. Barnier et Macron. Il est donc clair qu’il n’y a pas eu d’alternance, malgré la déroute de Renaissance et de LR aux législatives, mais juste un profond remaniement et l’entrée en masse des Républicains au gouvernement – perspective qu’ils avaient refusée depuis 2022.

 

 

3.     Un gouvernement de poids légers

 

Un troisième trait remarquable du gouvernement Barnier est l’absence de poids lourds et de figures centrales de la vie politique française. Tous les candidats potentiels à la prochaine élection présidentielle (prévue en 2027 ou avant, en cas de démission d’Emmanuel Macron) ont été écartés : Xavier Bertrand, Laurent Wauquiez, Gérald Darmanin, Bruno Le Maire, Edouard Philippe, François Bayrou, Ségolène Royal, Bernard Cazeneuve… On note aussi qu’aucun chef de parti n’est ministre.

 

Le but était, sans doute, de limiter les tensions partisanes au sein du gouvernement et d’éviter que certains ministres ne se désolidarisent de M. Barnier à l’approche des élections présidentielles. De fait, ce gouvernement pléthorique (39 membres) est composé d’un grand nombre d’inconnus. On note aussi beaucoup de ministres particulièrement jeunes, le pompon allant à Antoine Armand, le ministre des Finances, qui n'est âgé que de 33 ans. Certes, aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années, mais pour exercer des fonctions de premier plan, avoir un peu d’expérience et d’autorité ne saurait nuire... Il y a aussi des nominations étonnantes, comme celle d"Anne Genetet au ministère de l’Éducation nationale ; elle présente en effet un profil rigoureusement étranger à l'enseignement et n'a, en tant qu’élue, jamais évoqué la question. Evidemment, il n’est pas nécessaire d’être agriculteur ou ingénieur agronome pour devenir ministre de l’Agriculture, mais on peut néanmoins espérer un peu d’intérêt du responsable pour le sujet.


 

Quel destin pour le gouvernement Barnier ?

 

Les réactions à la composition du gouvernement Barnier ont été sévères. Il a été jugé inacceptable par la gauche, en raison d’un évident manque d’ouverture politique, de la présence de quelques ministres très conservateurs, et de la domination des vaincus des législatives. Le gouvernement n’a pas non plus séduit les organisations de la société civile – syndicats, monde associatif, ONG... –, car les ministres ont presque tous un profil politique. Il n’a pas davantage rassuré les experts et les éditorialistes, nombre de ministres n’ayant pas d’expérience probante. Enfin, il n’est pas certain qu’il bénéficie longtemps du soutien passif du RN, compte tenu des positions très critiques prises par ses leaders. Il est fort probable que le NFP déposera une motion de censure à chaque fois que cela sera possible : le RN pourra s’y joindre à n’importe quel moment, et exercer ainsi une pression constante sur le gouvernement, notamment sur ses sujets de prédilection – immigration et sécurité.

 


The fall of Icarus, Jacob Peter Gowy, 1636


On peut toutefois penser que le gouvernement Barnier ne tombera pas immédiatement, en raison de la stratégie électorale de Marine Le Pen. Celle-ci n’a aucun intérêt à gouverner, et se trouve bien mieux dans l’opposition, où elle se contente – comme elle le fait depuis le début de sa quête présidentielle – de critiquer l’action du gouvernement et du Président sans rien proposer. Un soutien passif lui permet aussi de cultiver sa stature de femme d’État, soucieuse des intérêts du pays, par contraste avec l’attitude destructrice d’un Jean-Luc Mélenchon, qui fera déposer par ses ouailles autant de motions de censure qu'il sera possible de le faire. C’est, pour la candidate du RN, la meilleure stratégie en vue des prochaines élections présidentielles.


Manifestation à Rennes contre le gouvernement Barnier (21 septembre 2024)


Du côté des partis impliqués dans le gouvernement, la gravité de la situation politique, économique, sociale et financière du pays les poussera sans doute à faire preuve de raison – aucun n’ayant intérêt à ce qu'il sombre dans le chaos et perde la confiance des marchés et de ses partenaires. L’insuccès des manifestations organisées par le NFP juste avant la présentation du gouvernement Barnier samedi dernier laisse penser qu’un sentiment similaire règne désormais dans la population. En somme, personne ne se réjouit de la composition du gouvernement, personne ne se fait d'illusion sur sa capacité à répondre aux attentes des citoyens, mais chacun comprend que sa chute n’ouvrirait aucune perspective enthousiasmante.

 

Olivier Costa

Photo du rédacteurOlivier Costa

Dernière mise à jour : 18 sept.


Aujourd’hui (mardi 17 septembre 2024), Ursula von der Leyen a présenté au Parlement européen la composition de la nouvelle Commission. Elle a confirmé les noms des différents candidats proposés par les Etats membres – à l’exception de la candidate slovène, dont le pays est empêtré dans une crise politique déclenchée par le remplacement du candidat initialement proposé par une femme, à la demande de la Présidente... Celle-ci a annoncé les portefeuilles et responsabilités des différents commissaires. A présent, le Parlement européen va procéder à l’audition des 26 candidats devant les commissions parlementaires compétentes. Il décidera ensuite d’accorder ou non l’investiture à la nouvelle Commission. A chaque fois, les députés ont refusé certains candidats ou demandé des aménagements de leur portefeuille, arguant de leur manque de maîtrise des dossiers, de leur attitude pendant l’audition ou d'ombres sur leur cv. Cet exercice permet au Parlement de s’immiscer dans la composition de la Commission et de rappeler que la confiance du Parlement ne lui est pas due, et qu’elle se mérite. Il y a fort à parier que certains candidats se feront une fois encore étriller, et que des ajustements de l’équipe seront nécessaires. Sans attendre de connaître la composition définitive de la nouvelle Commission, on peut d’ores et déjà tirer trois enseignements des choix opérés par Ursula von der Leyen.

 


1.     Une Commission aux ordres de la Présidente

 

La Présidente sortante a connu une fin de mandat difficile et s’est fait admonester par des membres du Conseil européen pour certaines de ses initiatives ou prises de positions. Elle a dû faire profil bas pour être réinvestie : reconnaître qu'elle n'est pas un Premier Ministre européen, et admettre que certaines compétences – notamment en matière de relations internationales – ne sont pas de son ressort. De même, Mme von der Leyen a dû déployer des trésors de diplomatie pour obtenir l’aval du Parlement européen. Les traités prévoient en effet qu’il doit « élire » le Président ou la Présidente de la Commission, et ce à la majorité de ses membres, ce qui implique que les absents et les abstentionnistes s’opposent à sa nomination. La tâche est donc ardue. Elle l’est d’autant plus que le scrutin a lieu à bulletins secrets, et que les groupes politiques ne peuvent donc pas faire pression sur leurs élus. En 2019, Mme von der Leyen ne l’avait ainsi emporté que de 9 voix, alors même qu’elle était soutenue par les trois plus grands groupes politiques, qui bénéficiaient en théorie d'une nette majorité. Dans un Parlement encore plus fragmenté, le résultat du vote était très incertain. La Présidente a néanmoins pu bénéficier de la mobilisation des députés pro-européens, paniqués par l’idée d’une crise institutionnelle, et a été réélue le 18 juillet dernier avec une avance plus confortable de 41 voix.

 

La nouvelle Commission


On pouvait penser que Mme von der Leyen continuerait à faire profil bas, afin de se ménager les bonnes grâces du Conseil européen et du Parlement, mais il n’en est rien. Elle a en effet choisi d’exercer un leadership fort sur la nouvelle Commission, en se débarrassant de tous les commissaires qui lui avaient tenu tête pendant son premier mandat : la danoise libérale Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive sortante ; le luxembourgeois Nicolas Schmit, qui était pourtant le candidat des socialistes à la Présidence de la Commission lors des dernières élections européennes ; et le Français Thierry Breton, qui a été poussé vers la sortie au dernier moment. Un autre poids-lourd du précédent collège, le socialiste néerlandais Franz Timmermans, est lui aussi absent, car revenu à la vie politique nationale. La Commission von der Leyen 2 se compose donc de personnalités peu connues et l’on ne voit pas qui pourrait contester l’autorité de la Présidente.

 

2.     Une Commission dominée par la droite

 

La nouvelle Commission se caractérise aussi par une domination sans faille du Parti populaire européen (PPE), le parti de la droite modérée. Depuis 1999, il constitue la première force politique au Parlement européen, et les présidents de la Commission sont issus de ses rangs sans discontinuer depuis vingt ans. Le précédent collège des commissaires présentait toutefois un certain équilibre entre le PPE, le Parti socialiste européen (PSE) et la famille libérale (Renew). Cet équilibre avait notamment commandé la création des postes de vice-présidents « exécutifs », qui étaient allés en priorité aux candidats malheureux du PSE et de Renew au poste de Président de la Commission.


La Commission von der Leyen 2 présente un tout autre visage : elle est largement dominée par le PPE, qui obtient 15 sièges sur 27, contre seulement 4 aux socialistes. Elle ne reflète plus les équilibres politiques au Parlement européen, où le PPE est certes le premier groupe, mais ne peut rien faire sans ses partenaires du PSE et de Renew. Puisque, légalement parlant, la Commission prend toutes ses décisions à la majorité, la Présidente pourra désormais imposer ses vues en mobilisant les commissaires du PPE. En pratique, la règle est la recherche du consensus, mais ce nouveau déséquilibre politique permettra à Ursula von der Leyen de renforcer son autorité.

 

La domination du PPE en cache une autre : celle de la CDU. En effet, l'Allemagne a toujours joué un rôle prépondérant au PPE parce qu'elle envoie d’importants contingents de députés au Parlement européen. A l’heure actuelle, le groupe compte 188 députés dont 31 Allemands – la plus forte délégation de l’hémicycle. Le France n’y compte que 6 députés et l’Italie 9. Dans la perspective du retour au pouvoir de la CDU l’an prochain en Allemagne, la domination de la Commission par le PPE, notamment grâce à sa Présidente, est préoccupante.

 


 

3.     Une Présidente qui affirme son leadership vis-à-vis des Etats

 

Le dernier enseignement de la composition de la nouvelle Commission tient aux rapports de force entre la Présidente et les leaders nationaux. Le remplacement, au dernier instant, de Thierry Breton par Stéphane Séjourné est à ce titre emblématique. Breton, qui n’avait pas fait mystère de son envie de rempiler, avait été confirmé comme candidat français par l’Élysée le 25 juillet. Mais ses relations avec Ursula von der Leyen étaient exécrables. Il avait plusieurs fois critiqué ses décisions et dénoncé une gouvernance trop personnelle. Il avait aussi publiquement moqué le faible soutien du PPE à son second mandat. Il existait enfin d’importantes divergences entre Thierry Breton et Ursula von der Leyen, notamment quant aux rapports avec les Etats-Unis. Breton a ainsi mené une croisade contre les GAFAM que la Présidente, très atlantiste, n’a pas appréciée. Mme von der Leyen, profitant de la mauvaise passe du Président français, a donc demandé le retrait de Breton, en faisant miroiter en échange un portefeuille élargi et une vice-présidence exécutive. Emmanuel Macron ayant accepté cet arrangement, Breton a claqué la porte.

 

Stéphane Séjourné et Thierry Breton


La nomination très tardive de Stéphane Séjourné a été interprétée par beaucoup comme un camouflet à la France, désormais traitée comme un « petit » pays. En effet, jamais par le passé un des plus grands Etats de l’Union n’avait été contraint de retirer son candidat – si ce n’est sous la pression du Parlement européen. Le nom de Mme von der Leyen avait été proposé par Emmanuel Macron en 2019 pour débloquer les négociations sur les "top jobs", et on la décrivait alors comme faible et redevable au Président français. Cinq ans plus tard, elle a su lui imposer le retrait de son candidat, sans même brandir l’excuse du respect de la parité. La séquence est aussi interprétée comme le signe d’une nouvelle dégradation des relations franco-allemandes : Mme von der Leyen ne représente certes pas son pays, mais elle n’a pu exiger ce changement sans l’aval des autorités allemandes ni celui de son parti, la CDU, qui est sans doute appelé à gouverner l’an prochain. Si le couple franco-allemand n’était pas en crise, jamais telle demande n’aurait été formulée.

 

Il ne faut cependant pas voir dans la décision d’Emmanuel Macron qu’une reculade. Elle a également été motivée par la défense de ses intérêts personnels. Quelle que soit la composition du gouvernement Barnier, le Président ne pourra en effet plus s’immiscer dans la gestion des affaires courantes comme il le fait depuis 2017. Il devra, comme y avaient été contraints François Mitterrand et Jacques Chirac en temps de cohabitation, se replier sur les questions internationales, européennes et de défense. Pour ce faire, le Président a besoin d’un homme de confiance à la Commission. Il a certes dit le plus grand bien du Commissaire français sortant, et les deux hommes avaient des préoccupations communes: la mise au pas des GAFAM, la régulation du marché, le développement d’une politique industrielle européenne, notamment dans le domaine de la défense… Mais Breton n’est pas un proche du Président et n’a jamais pris ses instructions à l’Élysée. En revanche, Stéphane Séjourné est un macroniste de la première heure et un fidèle parmi les fidèles, qui doit toute sa carrière au Président. C’est aussi un représentant de la famille libérale, puisque Séjourné a été président du groupe Renew pendant la précédente législature ; Breton était quant à lui considéré comme sans étiquette, même s'il était membre du RPR et de l’UMP à l’époque où il était ministre. Emmanuel Macron ne s’est donc pas contenté de céder au chantage d’Ursula von der Leyen : il a aussi soigné ses intérêts politiques du moment. Cela inclut évidemment la composition du gouvernement; Michel Barnier exigeant que les Affaires étrangères reviennent à un Républicain, il convenait de trouver un point de chute à Stéphane Séjourné.

 

 

Une séquence qui va alimenter les fantasmes eurosceptiques

 

Les péripéties de la composition de la Commission von der Leyen 2 dévoilent une évolution des rapports de force à Bruxelles. Lors de l’investiture du précédent collège, en 2019, un duel avait eu lieu entre le Parlement européen – qui voulait écarter certains candidats, dont la Française Sylvie Goulard – et le Conseil européen – qui entendait décider seul de la composition de la Commission. Désormais, c’est un duel à trois, entre le Parlement, le Conseil européen, et la Présidente de la Commission.



En effet, Mme von der Leyen entend faire mieux respecter les prérogatives que lui octroient les traités quant à la composition de son équipe et à l’attribution des portefeuilles. Plus largement, elle promeut une interprétation des traités qui renforce sa fonction présidentielle. Sur ce point, les textes sont ambigus : les décisions de la Commission se prennent de manière collégiale, par un vote des 27 commissaires à la majorité. La Présidente n'a pas de voix prépondérante et ne peut prendre aucune décision importante de son propre chef. Cependant, les traités lui reconnaissent aussi un leadership politique, un rôle actif dans le choix des commissaires et la distribution des portefeuilles et des fonctions, et le droit de limoger les commissaires individuellement. Mme von der Leyen bataille donc pour obtenir une interprétation maximaliste de son pouvoir, et imposer l’idée qu’elle peut prendre des décisions unilatérales au nom de la légitimité tirée de son « élection » par le Parlement européen.

 

Il reste que les péripéties de la composition de la Commission von der Leyen 2 donnent une bien piètre image de l’institution. Elles viennent alimenter les fantasmes qu’elle véhicule depuis longtemps : celui d'une bulle où règnent le népotisme, le copinage et les batailles d’égo, et celui d’une institution capable d’imposer ses désidératas à des États membres pourtant réputés souverains.


Olivier Costa

Dernière mise à jour : 10 sept.

Chacun guette la composition du gouvernement Barnier pour essayer d’en saisir la ligne politique. Quels seront les équilibres entre partis ? Y aura-t-il des ministres venus de la gauche ? Ou de l’extrême-droite ? Va-t-il créer des portefeuilles aux intitulés droitiers ? Ou progressistes ? En attendant, les leaders du NFP estiment que l’élection leur a été volée et veulent mobiliser citoyens, syndicats et étudiants autour de ce narratif. Ils affirment que Lucie Castets aurait dû gouverner, au nom de la « victoire » du NFP, et qu’elle en avait les moyens. Mais est-ce bien vrai ?

 

 

Lucie Castets n’a jamais été majoritaire

 

Il y a deux semaines, je faisais valoir, sans réelle ironie, qu’Emmanuel Macron aurait dû nommer Lucie Castets à Matignon pour clarifier la situation. Elle aurait composé son gouvernement, fait un discours de politique générale, et été rapidement censurée par l’Assemblée nationale. Le NFP aurait crié au coup de force, arguant une fois de plus de sa « victoire » du 7 juillet, mais la démonstration aurait été faite que l’exercice du pouvoir requiert, au minimum, qu’une majorité absolue de députés s’engage à ne pas voter la censure. Or, comme cela a été clairement établi lors de l’élection de la Présidente de l’Assemblée nationale, le NFP ne peut compter, au mieux, que sur 200 députés sur 577. En outre, les leaders des principaux groupes politiques hors-NFP avaient annoncé que, même sans ministres insoumis, ils voteraient la censure contre un gouvernement Castets. Les choses auraient sans doute été différentes si celle-ci avait réellement négocié avec les autres partis, mais elle ne l’a pas fait. Bernard Cazeneuve aurait pu, lui aussi, essayer de construire une majorité à gauche et au centre, mais Jean-Luc Mélenchon et Olivier Faure ont torpillé cette perspective.

 

Composition de l'Assemblée nationale, 9 septembre 2024

 


Une coalition minoritaire ne peut gouverner seule

 

Contrairement à ce que laissent entendre chaque jour les caciques du NFP, qui ont dû rater quelques cours, il n’existe aucune disposition dans la constitution, ni aucune coutume politique qui permette au parti arrivé en tête aux législatives d’appliquer son programme sans disposer d’une majorité absolue. Et, à l'inverse de ce que certains ont curieusement suggéré, Emmanuel Macron n’avait pas les moyens constitutionnels ou politiques d’interdire aux élus de son camp de censurer Lucie Castets pour la laisser appliquer le programme du NFP, au nom de sa « victoire ». Il faut rappeler que, dans aucun régime réellement démocratique, une majorité relative ne vaut une majorité absolue. Si un lecteur connaît un contre-exemple, je le prie de m’en faire part. Partout dans le monde, quand aucun parti ou aucune coalition ne dispose d’une majorité absolue à l’issue des élections, leurs leaders doivent négocier un accord majoritaire avant de prétendre gouverner. Parfois, il est impossible de réunir une majorité absolue sur un programme de gouvernement, mais il existe au moins un engagement de partis disposant d’une telle majorité à ne pas voter une censure immédiate. Il arrive aussi que le parti arrivé en tête des élections ne soit pas dans la coalition gagnante, faute d’avoir trouvé des alliés ; il siège alors dans l’opposition, car une majorité composée d’autres partis a émergé.

 

Pedro Sánchez, Premier ministre espagnol. En 2023, la droite (Parti populaire) emporte les élections législatives anticipées. Après l'échec de son leader, Alberto Núñez Feijóo, à obtenir l'investiture du Congrès des députés, le Roi charge Pedro Sánchez, le Premier ministre socialiste sortant, de former le nouvel exécutif. Il conclut un accord de coalition avec un mouvement de gauche radicale, trouve une majorité et conserve le pouvoir.


 

Le RN pèsera sans doute sur le gouvernement Barnier…

 

On verra comment le gouvernement Barnier s’en sortira. Pour l’heure, il semble à l’abri d’une censure – qui n’est promise que par les députés du NFP. D’aucuns diront qu’Emmanuel Macron ou Michel Barnier a pactisé avec l’extrême-droite pour cela. C’est une possibilité, et la composition du gouvernement et sa ligne politique éclaireront ce point. Il reste que, ce n’est pas parce que l’on trouve le programme du RN politiquement ou moralement condamnable, que l’on peut faire abstraction des résultats des élections : le RN dispose du plus grand groupe à l’Assemblée nationale (126 députés), est le premier parti de France et a obtenu près du tiers des suffrages aux législatives (29,26% des voix au premier tour et 32,05% au second). A titre personnel, cela ne me réjouit pas, mais c’est le résultat d’élections dont personne ne conteste la sincérité. Plus globalement, la représentation nationale penche aujourd’hui fortement à droite : la gauche est arrivée en tête des élections législatives, mais elle n’a qu’un tiers des sièges. Il n’est donc pas illogique, démocratiquement parlant, que le gouvernement incline à droite. On peut certes craindre que Michel Barnier ne subisse les pressions du RN et qu’il ne conduise une politique très droitière en matière de sécurité et d’immigration pour échapper à la censure. On peut aussi déplorer que certains à droite – comme l’ont déjà fait M. Ciotti et ses amis – envisagent de remettre en question le « cordon sanitaire » qui isolait jusqu’à présent le RN. Mais c’est ainsi que fonctionnent les démocraties parlementaires, par le jeu des négociations entre partis. Et le fait que quelques beaux esprits entendent démontrer que les Français sont fondamentalement animés par des idées et valeurs de gauche, y compris les électeurs du RN, n’y changera rien.

 

Michel Barnier dans la cour de l'Elysée

 


Une nomination paradoxale qui a une logique

 

Il est désolant d’entendre aujourd’hui les responsables du NFP affirmer que Matignon leur a été volé et que Lucie Castets disposait des moyens de gouverner. Elle aurait pu les obtenir, mais n’a rien fait pour cela. Les citoyens peuvent avoir divers motifs de ne pas être satisfaits de la nomination de Michel Barnier. Ils peuvent s’étonner que Les Républicains récupèrent le poste de Premier ministre après être arrivés bons cinquièmes des législatives, et avoir refusé de participer au front républicain – dont ils ont tiré profit. Ils peuvent s’indigner de ce que le Premier ministre s’inscrive dans la continuité de l’action menée par Emmanuel Macron depuis 2022, malgré le double désaveu des élections européennes et législatives. Ils peuvent considérer qu’il aurait été logique, faute de majorité, de gouverner au centre, en conciliant les idées des deux camps, et en renvoyant LFI et le RN à leurs outrances respectives. Ils peuvent regretter que le Premier ministre soit un homme du passé, peu susceptible d’incarner le renouveau ou le changement espéré.

 

Lucie Castets dans la cour de l'Elysée (au centre)


Mais il faut prendre acte des réalités politiques et électorales, et de la fragmentation inédite de la représentation nationale. M. Barnier semble pouvoir échapper à une censure immédiate, ce qui n’était pas le cas de Mme Castets. Celle-ci s’est contentée de dire qu’elle entendait appliquer le programme du NFP au nom de la « victoire » de celui-ci, de la volonté du « peuple » et de la préservation de l’union de la gauche, mais elle n’était soutenue que par un tiers des députés. Oui, vraiment, Emmanuel Macron aurait dû la nommer à Matignon afin que ces réalités soient clairement établies.


Olivier Costa

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