En sciences sociales, on ne peut bien prédire que le passé. Au-delà de la blague, cette idée renvoie à deux vérités objectives : d’abord, personne ne pouvait anticiper les dynamiques de la campagne électorale ; ensuite, tout phénomène social a des causes qu’il convient d’identifier.
Premières analyses (à 20h20) de résultats qui confirment les tendances des sondages les plus récents, mais les excèdent largement.
Une campagne imprévisible
La raison officielle de la dissolution, était la volonté du Président de « redonner la parole au peuple », pour qu’il opère une « clarification ». En somme, de dégager une majorité claire à l’Assemblée nationale – ce qui n’avait pas été le cas en 2022, et qui a contraint les gouvernements Borne et Attal à batailler pour faire passer leurs textes, et à user de l’article 49.3 autant qu’il était possible. L’idée d’une « clarification » n’avait pas vraiment de sens, car 50 millions d’électeurs agissant séparément ne peuvent pas se mettre d’accord sur une solution politique : chacun analyse les choses à sa manière, et il y avait au moins trois clarifications possibles (à gauche, au centre et à l’extrême-droite). Personne n’a eu la possibilité de se mettre d’accord sur le scénario préférable, car il n’y a pas eu de délibération ou de négociations à cet égard. La campagne a néanmoins réservé son lot de surprises – dont la première est la composition de la nouvelle Assemblée nationale.
Une stratégie à trois bandes
Au-delà du narratif de la « clarification », Emmanuel Macron a dissous pour deux raisons principales.
La première, était la volonté de prendre les partis d’opposition de court : le Président a parié sur les divisions de la gauche et sur celles de la droite. Les différentes composantes de la gauche s’étaient, en effet, livrées une campagne très dure à l’occasion des élections européennes, et l'on voyait mal comment, quelques jours seulement après le 9 juin, elles pourraient trouver un terrain d’entente. A droite, il était manifeste que Les Républicains seraient divisés entre les partisans d’une alliance de circonstances avec le RN – selon des modalités qui se généralisent en Europe – et les tenants du refus de toute compromission, qui a été la constante des leaders du parti depuis l’émergence du FN.
Le second objectif de la dissolution était l’idée, en cas de victoire du RN, de le laisser gouverner pour que les citoyens constatent qu’il n’a pas de solution magique aux problèmes du pays, et pour éviter ainsi l’élection de Marine Le Pen en 2027.
Des paris ratés
Mais rien ne s’est passé comme prévu. S’agissant de la gauche, Emmanuel Macron a perdu son pari, puisque quasiment toutes ses composantes se sont rapidement entendues pour créer le « Nouveau Front Populaire » (NFP) et présenter des candidats uniques partout en France. Pour la droite, il est parvenu à créer une profonde division au sein des Républicains (LR), mais le mouvement de collaboration avec le RN a été d’une ampleur limitée. LR sort en fâcheuse posture de ces élections, mais ce n’est pas une surprise, si l’on se réfère aux scores du parti aux européennes et aux présidentielles.
Au terme du processus, il semble que la gauche sera amenée à gouverner avec une partie des députés Renaissance – ce qui n’était sans doute pas le résultat espéré par E. Macron. Comment l’expliquer ?
Une campagne qui a permis quelques clarifications
La campagne, bien que très brève, a permis quelques clarifications.
S’agissant de la gauche, elle a révélé les profondes divisions qui existent au sein du NFP et qui, paradoxalement, ont permis son succès. Il est apparu que seuls certains Insoumis étaient encore favorables à ce que Jean-Luc Mélenchon soit Premier ministre en cas de victoire (chose qu’ils vont sans doute revendiquer bruyamment à l'issue du scrutin), et soutiennent sa ligne politique radicale, fondée sur le communautarisme, l’instrumentalisation du conflit israélo-palestinien et le refus de tout dialogue avec les forces politiques modérées. Les leaders des Verts et du PS ont ouvertement pris leurs distances avec celle ligne, de même que les Insoumis dissidents et certains acteurs majeurs du mouvement – comme François Ruffin. Les électeurs n’ont pas été dupes de la stratégie de diabolisation de la gauche conduite par Renaissance et le RN, assimilant tous les candidats du NFP à La France Insoumise (LFI), et ils ont compris que voter pour un candidat socialiste ne revenait pas nécessairement à porter Louis Boyard au ministère de l’éducation.
S’agissant de Renaissance, il est apparu que le Président était désormais bien seul, et qu’il se trouvait peu de candidats et cadres du parti pour soutenir sa décision de dissoudre et approuver sa façon de gouverner. Les candidats ont pris soin de ne pas revendiquer leur soutien à Emmanuel Macron ou le soutien de celui-ci, voire de prendre leurs distances avec Gabriel Attal. Les électeurs modérés ont pu leur apporter leurs suffrages sans avoir l’impression de faire un nouveau chèque en blanc à un Président qui n’en fait qu’à sa tête. Au soir du scrutin, ils limitent donc les dégâts.
Côté RN, enfin, la sanction est sévère. Trois facteurs expliquent la relative déconfiture du parti – par voie de comparaison avec ses résultats du 9 juin et avec son espoir de majorité absolue.
D’abord, les élections européennes ont toujours été propices au vote protestataire, en raison du mode de scrutin (proportionnelle) et de leur impact incertain et lointain. Il était logique que le score du RN se tasse lors des élections législatives, qui ont des enjeux autrement plus importants et précis, surtout après une dissolution. Il s’agissait, en effet, de choisir le nouveau Premier ministre et son gouvernement, et la ligne politique qui serait la leur pour les trois années à venir.
En deuxième lieu, la campagne, bien que courte, a permis de mettre à jour les défaillances et les carences du programme du RN. Jordan Bardella a été contraint de faire machine-arrière sur nombre de promesses, qui avaient été conçues pour séduire les électeurs, et non pour gouverner. Plus la perspective de l’emporter se précisait, et plus M. Bardella se montrait prudent, indiquant même son souhait de n’aller à Matignon qu'en cas de majorité absolue.
Enfin, dans les derniers jours de la campagne, il est apparu que nombre de candidats du RN n’étaient aucunement qualifiés pour devenir députés. Jour après jour, les internautes ont partagé sur les réseaux sociaux des éléments relatifs aux déclarations racistes ou antisémites de certains, au casier judiciaire d’autres ou à l’incapacité des troisièmes à expliquer le moindre aspect du programme du parti. On sait que le vote RN est un vote de protestation, qui est largement indexé sur la « colère » des électeurs. Mais ceux-ci ne sont pas masochistes pour autant, et les plus modérés d'entre eux n’avaient sans doute pas envie d’être représentés par des sympathisants du III° Reich, des repris de justice ou des idiots.
Le Monde, 20h00
"Les Peuples, bien qu'ignorants, sont capables de vérités" (Machiavel)
L’avenir du pays reste très incertain. Mais ces élections ont fait la preuve, s’il en était besoin, des vertus de la démocratie. Les électeurs ne sont pas tous très au fait des subtilités de la vie politique, ni très informés des détails de la campagne et des programmes des partis en présence, mais l’électorat est collectivement « sage » : les informations et les arguments circulent, les électeurs échangent et débattent, et ils mesurent l’importance et les enjeux de leur vote. Gérard Duprat avait magnifiquement démontré les risques que l'on court à dénoncer trop facilement "l'ignorance du peuple" (PUF, 1998). Car, quelle est l'alternative? Le gouvernement des savants? Celui de ceux qui crient le plus fort? Celui de la Femme ou de l'Homme providentiel, sûr de savoir ce que veut le peuple?
La campagne s’est conclue par un taux de participation remarquable et par des résultats qui montrent que les Français ne sont pas (encore ?) prêts à se lancer dans l’aventure d’un gouvernement d’extrême-droite, conduit par des gens dont le principal talent est de faire des promesses intenables. Aujourd'hui, la France a vécu un sursaut démocratique historique. Il reste à espérer que les responsables politiques seront à la hauteur des enjeux, et abandonneront un temps leurs obsessions présidentielles.
Olivier Costa