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Photo du rédacteurOlivier Costa

Bardella à Paris, Bardella à Bruxelles: les deux visages du RN

Jordan Bardella, qui se voyait déjà à Matignon, fort de s’être façonné une image de gendre idéal, devra patienter encore un peu. Pour se consoler, au soir même du second tour des législatives, il a été élu président du nouveau groupe des « Patriotes pour l’Europe » au Parlement européen. Cette formation, qui est désormais la troisième de l’assemblée par les effectifs, rassemble tout ce qu’on y trouve d’élus radicalement d’extrême-droite – avec bon nombre de fascistes, racistes et homophobes – et affiche une volonté décomplexée de servir les intérêts de Vladimir Poutine.



La stratégie du gendre idéal

 

Les élections européennes ont été un succès sans précédent pour le RN, qui a obtenu 30 des 81 sièges dévolus à la France. Les élus du RN constituent désormais la première délégation nationale du Parlement européen (PE), devant la CDU allemande (29 députés). Ce succès est à mettre au crédit de Jordan Bardella, la tête de liste. Il vient récompenser une habile stratégie de « normalisation » du parti : normalisation de son discours, qui ne comporte plus les outrances racistes ou antisémites de l’époque de Jean-Marie Le Pen, et normalisation de ses candidats, dont Jordan Bardella est la meilleure illustration – allure soignée, ton posé, bonnes manières.

 

Fort de ce succès, Jordan Bardella a également conduit la campagne pour les législatives. Ce scrutin a été à la fois un échec et un succès pour le RN. Le parti n’obtient que 143 sièges (en ce compris les LR ralliés), alors qu’il en envisageait plus du double au soir du premier tour, et ne constitue que le troisième groupe à l’Assemblée nationale ; la perspective de voir Jordan Bardella entrer à Matignon s’est envolée. Néanmoins, le RN recueille 32% des suffrages exprimés, très loin devant le Nouveau Front Populaire et Renaissance, et confirme qu’il est, de loin, le premier parti de France.

 

Bardella n’a pas crevé le plafond de verre


Le bilan contrasté des législatives pour le RN est largement à mettre au crédit et au débit de Jordan Bardella. A son crédit, il y a la stratégie de banalisation, le profil policé, la capacité – relative – à participer à des interviews et à des débats, à force de « media training » et de sourires appris. A son débit, il y a un manque évident de compétence sur les dossiers et un défaut de crédibilité ; Bardella, qui n’a que 28 ans, le bac pour seul diplôme et aucune expérience professionnelle, n’a pas la carrure pour devenir Premier ministre et pas la capacité à répondre aux questions des journalistes s'il n'a pas des fiches ou une oreillette. Au débit de Bardella, il faut aussi mettre la sélection chaotique des candidats du RN aux législatives : au fil de la campagne, de nombreux représentants du parti se sont révélés embarrassants par leur absence totale de connaissances, leurs déclarations racistes, homophobes ou antisémites, leur casier judiciaire, ou encore leur comportement loufoque.

 

En raison du manque de sérieux de son Président et de ses candidats, le RN s’est heurté à un plafond de verre au second tour des législatives : les électeurs des autres partis ont largement joué le jeu du « barrage républicain » et reporté leurs voix sur les candidats non-RN les mieux placés. Il reste que Jordan Bardella a fait évoluer l’image du parti, avec son air convenable, ses propos maîtrisés et son art de ne jamais se prononcer sur autre chose que l’immigration. Le RN apparaît désormais comme un recours pour nombre de citoyens, puisqu’il recueille avec régularité un tiers des suffrages. Forte de cette assise électorale, Marine Le Pen attend patiemment son heure pour entrer à l’Élysée.

 


Bardella, Président du groupe pro-Poutine au Parlement européen


Le 8 juillet, le soir même du second tour, Jordan Bardella a montré un tout autre visage, en se faisant élire – alors qu'il était retenu à Paris pour une fête qui n'a pas eu lieu – Président du groupe des « Patriotes pour l'Europe » au PE.


Cette nouvelle formation a été créée fin juin à l’initiative de Viktor Orban, le Premier ministre hongrois, dont les élus du parti Fidesz siégeaient au PE chez les non-inscrits depuis leur départ du groupe démocrate-chrétien (PPE). Il s’est allié pour cela aux responsables du FPÖ autrichien et du ANO tchèque. Ce trio a été rejoint par tout ce que l’Union compte de partis radicaux : le PVV (Pays-Bas), Chega (Portugal), Vox (Espagne), le Parti populaire (Danemark), le Vlaams Belang (Belgique) et la Lega (Italie). Le RN a aussi rallié les rangs de ce nouveau groupe, qui reprend l’essentiel des délégations de la formation « Identité et démocratie » (ID) que Marine Le Pen avait créé en 2019, et qui disparaît de fait. Dans l’opération, le parti français a été privé de son leadership, faute de s’être investi suffisamment tôt dans les discussions : Mme Le Pen ne siège en effet plus au PE, tandis que Jordan Bardella était accaparé par la campagne des législatives et la perspective de devenir Premier ministre. Son élection comme Président du groupe vient prendre acte de l’importance numérique de la délégation du RN.

 

Avec 84 députés de 13 nationalités, le groupe des Patriotes est désormais la troisième force au PE, après les démocrates-chrétiens (PPE) et les sociaux-démocrates (S&D), et devant le groupe des Conservateurs et réformistes européens (ECR) et les libéraux de Renew. C’est un succès sans précédent pour l’extrême-droite, qui traduit son irrésistible montée en puissance, élection après élection.


Source: Parlement européen



Un groupe ouvertement pro-russe

 

Le groupe des Patriotes résulte des efforts de Vladimir Poutine pour peser davantage sur le fonctionnement du PE ; un des engagements fondamentaux de la nouvelle formation est en effet l’arrêt du soutien militaire à l’Ukraine. Lors de la conférence de presse de lancement du groupe, la question de la visite de M. Orban à M. Poutine a été longuement évoquée. En effet, M. Orban, dont le pays exerce depuis le 1er juillet la présidence tournante du Conseil, multiplie les provocations pro-russes. Dans les institutions européennes et les chancelleries, on espérait que la Hongrie se contente d’assurer un service minimum, en laissant à quelques bureaucrates hongrois chevronnés et au Secrétariat général du Conseil le soin d’organiser la présidence. Mais sitôt en poste, le 5 juillet, M. Orban est allé présenter ses hommages à Vladimir Poutine et lui « parler de paix », en contradiction avec la ligne politique de l’Union européenne. Pire, les médias russes et chinois ont affirmé qu’il s'exprimait au nom du Conseil, alors qu’il ne disposait d’aucun mandat pour ce faire.

 

L’échec de la dédiabolisation ?

 

Mme Le Pen envisageait depuis longtemps de recentrer son groupe au PE, comme elle l’avait fait pour son parti en France. Les différents groupes d’extrême-droite, qui ont accueilli les députés FN puis RN, ont en effet subi une politique constante de « cordon sanitaire » de la part des autres formations, qui ont toujours refusé de collaborer en quelque manière avec eux. L’ambition de Mme Le Pen était de mettre un terme à cette situation, en nouant des alliances avec d’autres groupes, notamment ECR, voire en créant un groupe unique de la droite conservatrice, nationaliste et eurosceptique, réunissant les groupes ID et ECR. Celui-ci aurait pu devenir la première formation du PE et peser lourdement sur ses activités et votes. Mais les tensions entre les deux groupes sur certains sujets (notamment le rapport à la Russie) et les guerres d’égos entre les leaders des différents partis de la droite extrême ne l’ont pas permis.

 

La création du groupe des Patriotes semblait aller en ce sens, d’autant que certains au PPE envisageaient depuis un an ou deux de collaborer avec le groupe ECR, et même avec des députés plus à droite encore, pour l’adoption de certains textes. Les groupes ECR et ID, sans avoir négocié d’alliance formelle, partagent d’ailleurs beaucoup de conceptions – sur l’immigration, le budget, l’intégration européenne, les questions de société et l’environnement – et votent fréquemment de concert. Mme Le Pen estimait qu’il ne suffisait pas de faire croître les effectifs de l’extrême-droite, mais qu’il fallait aussi la placer au cœur des délibérations du PE. D'où la nécessité d'une "dédiabolisation".

 

Las, le groupe des Patriotes est loin d’amorcer le tournant espéré par Marine Le Pen. Il s’affiche au contraire comme ouvertement pro-Russe et anti-européen, et l’on trouve parmi ses vice-présidents des élus qui sont coutumiers des déclarations xénophobes, antisémites, homophobes et misogynes. Il est donc peu probable que le « cordon sanitaire » soit remis en cause pendant la nouvelle législature. Le groupe des Patriotes sera sans doute marginalisé, comme l’était le groupe ID avant lui, dépourvu de représentants à des postes-clés (vice-présidences du PE, présidences de commissions parlementaires et délégations interparlementaires) et privé de responsabilités notables (rapports sur des textes législatifs importants ou sur le budget).



Les deux visages de Jordan Bardella

 

Jordan Bardella, la coqueluche des médias et le héraut d’un tiers de l’électorat français, se retrouve ainsi à la tête d’un groupe politique qui promeut au PE des idées et positions que le RN a pris soin d’effacer de son vocabulaire et de son programme. Le Bardella de Paris préside un parti qui conteste l’étiquette « extrême-droite », entend élargir sa base électorale et veut nouer des alliances avec la droite de gouvernement. Le Bardella de Bruxelles préside un groupe qui rassemble des racistes, des antisémites et des admirateurs décomplexés du fascisme, et qui entend servir sans vergogne les intérêts de Vladimir Poutine. Qui connaît l’histoire du RN est en droit de penser que le vrai visage du Janus de Seine-Saint-Denis est probablement le second.

 

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