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  • Photo du rédacteurOlivier Costa

Commission von der Leyen 2: trois enseignements

Dernière mise à jour : 18 sept.


Aujourd’hui (mardi 17 septembre 2024), Ursula von der Leyen a présenté au Parlement européen la composition de la nouvelle Commission. Elle a confirmé les noms des différents candidats proposés par les Etats membres – à l’exception de la candidate slovène, dont le pays est empêtré dans une crise politique déclenchée par le remplacement du candidat initialement proposé par une femme, à la demande de la Présidente... Celle-ci a annoncé les portefeuilles et responsabilités des différents commissaires. A présent, le Parlement européen va procéder à l’audition des 26 candidats devant les commissions parlementaires compétentes. Il décidera ensuite d’accorder ou non l’investiture à la nouvelle Commission. A chaque fois, les députés ont refusé certains candidats ou demandé des aménagements de leur portefeuille, arguant de leur manque de maîtrise des dossiers, de leur attitude pendant l’audition ou d'ombres sur leur cv. Cet exercice permet au Parlement de s’immiscer dans la composition de la Commission et de rappeler que la confiance du Parlement ne lui est pas due, et qu’elle se mérite. Il y a fort à parier que certains candidats se feront une fois encore étriller, et que des ajustements de l’équipe seront nécessaires. Sans attendre de connaître la composition définitive de la nouvelle Commission, on peut d’ores et déjà tirer trois enseignements des choix opérés par Ursula von der Leyen.

 


1.     Une Commission aux ordres de la Présidente

 

La Présidente sortante a connu une fin de mandat difficile et s’est fait admonester par des membres du Conseil européen pour certaines de ses initiatives ou prises de positions. Elle a dû faire profil bas pour être réinvestie : reconnaître qu'elle n'est pas un Premier Ministre européen, et admettre que certaines compétences – notamment en matière de relations internationales – ne sont pas de son ressort. De même, Mme von der Leyen a dû déployer des trésors de diplomatie pour obtenir l’aval du Parlement européen. Les traités prévoient en effet qu’il doit « élire » le Président ou la Présidente de la Commission, et ce à la majorité de ses membres, ce qui implique que les absents et les abstentionnistes s’opposent à sa nomination. La tâche est donc ardue. Elle l’est d’autant plus que le scrutin a lieu à bulletins secrets, et que les groupes politiques ne peuvent donc pas faire pression sur leurs élus. En 2019, Mme von der Leyen ne l’avait ainsi emporté que de 9 voix, alors même qu’elle était soutenue par les trois plus grands groupes politiques, qui bénéficiaient en théorie d'une nette majorité. Dans un Parlement encore plus fragmenté, le résultat du vote était très incertain. La Présidente a néanmoins pu bénéficier de la mobilisation des députés pro-européens, paniqués par l’idée d’une crise institutionnelle, et a été réélue le 18 juillet dernier avec une avance plus confortable de 41 voix.

 

La nouvelle Commission


On pouvait penser que Mme von der Leyen continuerait à faire profil bas, afin de se ménager les bonnes grâces du Conseil européen et du Parlement, mais il n’en est rien. Elle a en effet choisi d’exercer un leadership fort sur la nouvelle Commission, en se débarrassant de tous les commissaires qui lui avaient tenu tête pendant son premier mandat : la danoise libérale Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive sortante ; le luxembourgeois Nicolas Schmit, qui était pourtant le candidat des socialistes à la Présidence de la Commission lors des dernières élections européennes ; et le Français Thierry Breton, qui a été poussé vers la sortie au dernier moment. Un autre poids-lourd du précédent collège, le socialiste néerlandais Franz Timmermans, est lui aussi absent, car revenu à la vie politique nationale. La Commission von der Leyen 2 se compose donc de personnalités peu connues et l’on ne voit pas qui pourrait contester l’autorité de la Présidente.

 

2.     Une Commission dominée par la droite

 

La nouvelle Commission se caractérise aussi par une domination sans faille du Parti populaire européen (PPE), le parti de la droite modérée. Depuis 1999, il constitue la première force politique au Parlement européen, et les présidents de la Commission sont issus de ses rangs sans discontinuer depuis vingt ans. Le précédent collège des commissaires présentait toutefois un certain équilibre entre le PPE, le Parti socialiste européen (PSE) et la famille libérale (Renew). Cet équilibre avait notamment commandé la création des postes de vice-présidents « exécutifs », qui étaient allés en priorité aux candidats malheureux du PSE et de Renew au poste de Président de la Commission.


La Commission von der Leyen 2 présente un tout autre visage : elle est largement dominée par le PPE, qui obtient 15 sièges sur 27, contre seulement 4 aux socialistes. Elle ne reflète plus les équilibres politiques au Parlement européen, où le PPE est certes le premier groupe, mais ne peut rien faire sans ses partenaires du PSE et de Renew. Puisque, légalement parlant, la Commission prend toutes ses décisions à la majorité, la Présidente pourra désormais imposer ses vues en mobilisant les commissaires du PPE. En pratique, la règle est la recherche du consensus, mais ce nouveau déséquilibre politique permettra à Ursula von der Leyen de renforcer son autorité.

 

La domination du PPE en cache une autre : celle de la CDU. En effet, l'Allemagne a toujours joué un rôle prépondérant au PPE parce qu'elle envoie d’importants contingents de députés au Parlement européen. A l’heure actuelle, le groupe compte 188 députés dont 31 Allemands – la plus forte délégation de l’hémicycle. Le France n’y compte que 6 députés et l’Italie 9. Dans la perspective du retour au pouvoir de la CDU l’an prochain en Allemagne, la domination de la Commission par le PPE, notamment grâce à sa Présidente, est préoccupante.

 


 

3.     Une Présidente qui affirme son leadership vis-à-vis des Etats

 

Le dernier enseignement de la composition de la nouvelle Commission tient aux rapports de force entre la Présidente et les leaders nationaux. Le remplacement, au dernier instant, de Thierry Breton par Stéphane Séjourné est à ce titre emblématique. Breton, qui n’avait pas fait mystère de son envie de rempiler, avait été confirmé comme candidat français par l’Élysée le 25 juillet. Mais ses relations avec Ursula von der Leyen étaient exécrables. Il avait plusieurs fois critiqué ses décisions et dénoncé une gouvernance trop personnelle. Il avait aussi publiquement moqué le faible soutien du PPE à son second mandat. Il existait enfin d’importantes divergences entre Thierry Breton et Ursula von der Leyen, notamment quant aux rapports avec les Etats-Unis. Breton a ainsi mené une croisade contre les GAFAM que la Présidente, très atlantiste, n’a pas appréciée. Mme von der Leyen, profitant de la mauvaise passe du Président français, a donc demandé le retrait de Breton, en faisant miroiter en échange un portefeuille élargi et une vice-présidence exécutive. Emmanuel Macron ayant accepté cet arrangement, Breton a claqué la porte.

 

Stéphane Séjourné et Thierry Breton


La nomination très tardive de Stéphane Séjourné a été interprétée par beaucoup comme un camouflet à la France, désormais traitée comme un « petit » pays. En effet, jamais par le passé un des plus grands Etats de l’Union n’avait été contraint de retirer son candidat – si ce n’est sous la pression du Parlement européen. Le nom de Mme von der Leyen avait été proposé par Emmanuel Macron en 2019 pour débloquer les négociations sur les "top jobs", et on la décrivait alors comme faible et redevable au Président français. Cinq ans plus tard, elle a su lui imposer le retrait de son candidat, sans même brandir l’excuse du respect de la parité. La séquence est aussi interprétée comme le signe d’une nouvelle dégradation des relations franco-allemandes : Mme von der Leyen ne représente certes pas son pays, mais elle n’a pu exiger ce changement sans l’aval des autorités allemandes ni celui de son parti, la CDU, qui est sans doute appelé à gouverner l’an prochain. Si le couple franco-allemand n’était pas en crise, jamais telle demande n’aurait été formulée.

 

Il ne faut cependant pas voir dans la décision d’Emmanuel Macron qu’une reculade. Elle a également été motivée par la défense de ses intérêts personnels. Quelle que soit la composition du gouvernement Barnier, le Président ne pourra en effet plus s’immiscer dans la gestion des affaires courantes comme il le fait depuis 2017. Il devra, comme y avaient été contraints François Mitterrand et Jacques Chirac en temps de cohabitation, se replier sur les questions internationales, européennes et de défense. Pour ce faire, le Président a besoin d’un homme de confiance à la Commission. Il a certes dit le plus grand bien du Commissaire français sortant, et les deux hommes avaient des préoccupations communes: la mise au pas des GAFAM, la régulation du marché, le développement d’une politique industrielle européenne, notamment dans le domaine de la défense… Mais Breton n’est pas un proche du Président et n’a jamais pris ses instructions à l’Élysée. En revanche, Stéphane Séjourné est un macroniste de la première heure et un fidèle parmi les fidèles, qui doit toute sa carrière au Président. C’est aussi un représentant de la famille libérale, puisque Séjourné a été président du groupe Renew pendant la précédente législature ; Breton était quant à lui considéré comme sans étiquette, même s'il était membre du RPR et de l’UMP à l’époque où il était ministre. Emmanuel Macron ne s’est donc pas contenté de céder au chantage d’Ursula von der Leyen : il a aussi soigné ses intérêts politiques du moment. Cela inclut évidemment la composition du gouvernement; Michel Barnier exigeant que les Affaires étrangères reviennent à un Républicain, il convenait de trouver un point de chute à Stéphane Séjourné.

 

 

Une séquence qui va alimenter les fantasmes eurosceptiques

 

Les péripéties de la composition de la Commission von der Leyen 2 dévoilent une évolution des rapports de force à Bruxelles. Lors de l’investiture du précédent collège, en 2019, un duel avait eu lieu entre le Parlement européen – qui voulait écarter certains candidats, dont la Française Sylvie Goulard – et le Conseil européen – qui entendait décider seul de la composition de la Commission. Désormais, c’est un duel à trois, entre le Parlement, le Conseil européen, et la Présidente de la Commission.



En effet, Mme von der Leyen entend faire mieux respecter les prérogatives que lui octroient les traités quant à la composition de son équipe et à l’attribution des portefeuilles. Plus largement, elle promeut une interprétation des traités qui renforce sa fonction présidentielle. Sur ce point, les textes sont ambigus : les décisions de la Commission se prennent de manière collégiale, par un vote des 27 commissaires à la majorité. La Présidente n'a pas de voix prépondérante et ne peut prendre aucune décision importante de son propre chef. Cependant, les traités lui reconnaissent aussi un leadership politique, un rôle actif dans le choix des commissaires et la distribution des portefeuilles et des fonctions, et le droit de limoger les commissaires individuellement. Mme von der Leyen bataille donc pour obtenir une interprétation maximaliste de son pouvoir, et imposer l’idée qu’elle peut prendre des décisions unilatérales au nom de la légitimité tirée de son « élection » par le Parlement européen.

 

Il reste que les péripéties de la composition de la Commission von der Leyen 2 donnent une bien piètre image de l’institution. Elles viennent alimenter les fantasmes qu’elle véhicule depuis longtemps : celui d'une bulle où règnent le népotisme, le copinage et les batailles d’égo, et celui d’une institution capable d’imposer ses désidératas à des États membres pourtant réputés souverains.


Olivier Costa

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