Lors de ses vœux, mardi soir, Emmanuel Macron a fait une référence énigmatique à sa volonté de consulter les Français en 2025 pour trancher certains sujets déterminants. Il n’en a pas dit plus. Quelles sont ses options en la matière ? Pourquoi a-t-il abattu cette nouvelle carte ? Pourra-t-il rester le maître du jeu politique en s’appuyant sur les citoyens ? Sera-t-il au contraire poussé à la démission ?
Emmanuel Macron est un personnage politique clivant. Dès sa première élection, en 2017, il a suscité des réactions épidermiques auprès d’une partie des citoyens et des commentateurs de la vie politique. Il déplaît, évidemment, à ceux dont il a provoqué le naufrage électoral, mais aussi à ceux qui ne supportent pas son style – mélange d’arrogance et de candeur. Le Président se distingue en particulier par sa croyance, apparemment inextinguible, en sa capacité à renverser l’opinion publique par le verbe. Certes, c'est un bon orateur, et il sait écrire. Mais il n’est pas démontré que ses nombreuses interventions télévisées – que ce soit à l’époque de la crise des gilets jaunes, des confinements liés au Covid ou de la séquence politique ouverte par les législatives de 2022 – aient convaincu qui que ce soit de la justesse de sa politique, et rallié les foules à son panache. Ces discours constituent plutôt un exercice de style un peu vain, qui flatte son orgueil, réjouit ses inconditionnels, irrite ses adversaires et laisse les autres indifférents. Il en va de même de ses vœux du 31 décembre, qui ont toujours suscité des réactions globalement négatives, que ce soit sur le fond – jugé partial et détaché de la réalité – ou la forme – considérée comme péremptoire et pédante.
Un discours doublement problématique
Le discours du 31 décembre 2024 ne fait pas exception. Certes, il a été nettement plus court que d’ordinaire, et moins emphatique. Il a aussi laissé la place, en prélude, à une vidéo retraçant les grands événements de l’année – néanmoins commentés par le Président. En s’abstenant de disserter sur les perspectives pour l’action gouvernementale, et en se focalisant sur les enjeux européens et de long terme, Emmanuel Macron a aussi implicitement reconnu qu’il n’a plus vocation à trancher tous les débats, selon l’approche « jupitérienne » qu’il revendiquait jusqu'alors sans détour. Pour finir, il a reconnu les effets délétères de la dissolution et a admis sa responsabilité en la matière ; c’est un acte de contrition inédit de la part d’un Président qui ne doute pas démesurément de sa clairvoyance et de la pertinence de ses décisions.
Ce discours pose néanmoins deux problèmes, et montre qu’Emmanuel Macron n’a toujours pas pleinement pris acte de la situation politique induite par sa réélection poussive en 2022, son refus de négocier avec les partis hors-majorité à l’issue des législatives qui ont suivi, et son choix de dissoudre l’Assemblée en juin dernier.
Un Président qui veut garder la main
D’abord, le Président n’a pas renoncé au rôle de maître du jeu. En annonçant, avec une dose de mystère, que les Français seraient consultés en 2025, il s’accroche à l’idée qu’il est l’acteur central de la vie politique française, et qu’il est la solution à la crise actuelle, et non pas sa cause. Il conserve la posture d’un joueur de belote qui choisit d’abattre tel ou tel atout au moment qu’il jugera opportun, dans l'espoir d'emporter la partie.
Il a usé de la dissolution de cette façon ; non pas pour sortir d’une impasse politique, en tant que gardien des institutions, mais pour tenter de prendre de cours ses adversaires. Il a agi de manière similaire en nommant à Matignon Michel Barnier, puis François Bayrou, tous deux issus de partis très minoritaires à l’Assemblée nationale. Pour ce faire, il a pris tout son temps, ne laissant à personne le loisir de le presser. Durant cette séquence, il a adopté ses décisions en toute indépendance et n’a accepté de consulter les responsables des principaux partis qu’à la marge. En définitive, il a nommé deux gouvernements qui reprennent les fondamentaux du macronisme : un positionnement au centre-droit, avec quelques débauchages sur les franges ; une ligne droitière sur les questions de sécurité, libérale sur l’économie, progressiste sur les enjeux de société, et pro-européenne. Michel Barnier et François Bayrou ont cherché à imposer leurs vues pour le choix des ministres, mais Emmanuel Macron a approuvé chaque nomination – comme l’exige l’article 8 de la Constitution. On peine, ainsi, à trouver dans ces équipes des personnes que l’on pourrait qualifier d’opposants politiques au Président.
En somme, alors que le parti présidentiel a été sévèrement défait lors des dernières élections législatives, le pays ne connaît pas une situation de véritable cohabitation mais simplement la recherche par le Premier ministre d’une certaine indépendance. On pourrait objecter que c’est la conséquence d’un paysage politique fragmenté : dans la mesure ou ni le Nouveau front populaire (NFP) ni le Rassemblement national (RN) ne peut prétendre échapper à une motion de censure, il y a une logique politique à gouverner au centre, en essayant d’obtenir le soutien au moins passif – c’est-à-dire l’absence de censure – de députés situés à la gauche et à la droite du bloc présidentiel. Mais le résultat n’en reste pas moins paradoxal : les alliés de M. Macron gouvernent.
Consulter les Français, mais comment ?
Le second problème du discours de vœux du Président tient à l’idée même d’une nouvelle consultation des Français. Comme à son habitude, Emmanuel Macron a voulu créer un effet de surprise et s’est gardé de la moindre précision quant à ses intentions, en formulant les choses de manière sibylline : « En 2025, nous continuerons de décider et je vous demanderai aussi de trancher certains de ces sujets déterminants. Car chacun d’entre vous aura un rôle à jouer. »
A priori, le Président a fait référence à la possibilité de référendums sur des sujets controversés. Il avait déjà évoqué cette option par le passé, mais n’en a jamais pris le risque. La situation a changé : s’il refuse d’être cantonné jusqu’en 2027 aux voyages officiels, aux sommets européens et aux inaugurations, il doit pouvoir compter sur de nouveaux alliés. Il n’en trouvera ni à l’Assemblée nationale, ni dans les partis politiques extérieurs au bloc central. Il entend donc s’appuyer sur les citoyens – avec la conviction que ceux-ci oublieront bientôt la séquence chaotique du semestre dernier, et accepteront de s’en remettre une fois encore à lui. Compte tenu de la situation politique et de ses pouvoirs désormais restreints, comment peut-il impliquer les Français ? Trois options s’offrent à lui.
Une nouvelle dissolution
Il peut, d’abord, provoquer une nouvelle dissolution, dès l’été prochain – pour respecter le délai de 12 mois prévu par la Constitution. Le Président n’a pas directement évoqué cette option, mais elle reste un atout dans son jeu. Elle n'est toutefois pas de nature à mettre un terme à la crise politique que la France connaît, car elle aboutira très probablement au même résultat qu’en juillet dernier. Le RN est désormais solidement implanté dans le paysage politique, et le vote pour ce parti ne peut plus être ramené à une forme de protestation conjoncturelle et volatile ; c’est en large partie un vote d’adhésion à des idées et à des leaders. Les partis de gauche restent quant à eux prisonniers, au sein du NFP, du bon vouloir et des ambitions présidentielles de Jean-Luc Mélenchon. Compte tenu du mode de scrutin en vigueur pour les législatives (scrutin majoritaire uninominal à deux tours), si le PCF, les Verts et le PS veulent conserver un nombre décent de sièges à l’Assemblée nationale, ils doivent demeurer dans le NFP – et soutenir la candidature de Jean-Luc Mélenchon aux prochaines présidentielles. A défaut, les Insoumis présenteraient un candidat dans chaque circonscription aux législatives, ruinant ainsi les chances d’un grand nombre de sortants du NFP d’accéder au second tour du scrutin. Il est donc improbable que les lignes bougent à gauche. Du côté de la majorité présidentielle, la situation n’est pas meilleure, avec un risque de candidatures multiples au centre et à droite, et une possible réticence générale à renouveler le Front républicain qui avait permis aux alliés du Président de limiter les dégâts l'été dernier. Dans un paysage partisan inchangé, les mêmes causes conduiront aux mêmes conséquences : une Assemblée dépourvue de majorité et des perspectives de survie réduites pour le gouvernement, quel qu’il soit.
Des référendums
Le projet de consultation des Français peut, en deuxième lieu, renvoyer à un ou plusieurs référendums – et c’est l’idée qui vient le plus spontanément à l’esprit quand on écoute Emmanuel Macron. L’histoire a toutefois montré que l’instrument est d’un maniement délicat, surtout en France. Si le Président est à l’origine de la consultation – ce qui a été le cas pour les 9 référendums organisés depuis l’entrée en vigueur de la V° République – celle-ci a tôt fait de se transformer en plébiscite. Les citoyens ne répondent plus seulement à la question posée, mais manifestent aussi leur soutien ou leur hostilité au Chef de l’État. Sa popularité a donc une incidence directe sur les résultats du scrutin. En outre, l’on voit mal les leaders de l’opposition donner une réponse objective à la question posée par le Président. Quelle qu’elle soit, il est improbable que Marine le Pen ou Jean-Luc Mélenchon appellent à voter dans le sens qu’il suggère. Au contraire, leur ambition sera sans doute de le voir désavoué et poussé à la démission – comme ce fut le cas pour Charles de Gaulle en 1969, après le référendum perdu sur la réforme du Sénat et la création de régions.
Enfin, un référendum est peu susceptible de contribuer à la réconciliation des Français que le Président appelle de ses vœux, puisqu’il conduit à réduire un débat souvent complexe à deux options simplistes – « oui » ou « non » – et à diviser le corps électoral en deux camps antagonistes.
Une nouvelle Convention citoyenne
En troisième lieu, l’idée d’une consultation des citoyens peut impliquer le recours à des dispositifs délibératifs ou participatifs, tels que la Convention citoyenne pour le climat, organisée de fait à l’initiative d’Emmanuel Macron en 2019. Ces exercices sont certes louables dans leur principe, mais ils comportent de nombreuses limites quant à leur capacité à légitimer l’action publique.
D’abord, il importe qu’ils soient suivis d’effets, ce qui n'est pas toujours le cas. Ces instruments sont en effet aussi utilisés pour des besoins de communication, pour satisfaire les attentes de certains groupes ou pour calmer les esprits, et non pour orienter réellement l’action publique. La mise en œuvre de leurs conclusions est d’ailleurs souvent problématique : les participants à une convention citoyenne tendent à adopter des positions maximalistes, en net décalage avec l’état de l’opinion publique et les attentes des différentes composantes de la société – associations, acteurs économiques, élus locaux, technostructure, partis, groupes d’intérêts… Un citoyen qui s’implique dans un débat donné sera tenté d’appuyer des demandes ambitieuses, qui feront abstraction d’autres enjeux et de certains obstacles – juridiques, techniques, politiques, budgétaires… Par ailleurs, si l’existence d’une telle consultation peut contribuer à ramener la paix sociale en temps de crise, elle n’est pas susceptible de rétablir durablement la confiance des citoyens dans les institutions ou de raviver la concorde nationale. Enfin, certains citoyens peuvent, à juste titre, considérer que les participants à ces dispositifs, qu’ils soient volontaires ou tirés au sort, ne disposent d’aucune légitimité pour adopter des décisions collectives, et que cette tâche appartient aux élus.
L'hypothèse de la démission
Il reste une quatrième option, celle que réclament bruyamment Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Ils sont en effet tous deux désireux de hâter le calendrier électoral, l'une pour prendre de vitesse les juges et éviter une possible peine d'inéligibilité, l'autre pour anticiper l'inévitable implosion du NFP. Cette hypothèse implique une démission d’Emmanuel Macron et l’organisation d’élections présidentielles sans attendre 2027. Le Président paraît exclure cette option : il l’a indiqué à plusieurs reprises depuis l’été et a inscrit son action dans la durée lors de son récent discours de vœux. Il reste que si l’Assemblée nationale fait tomber les gouvernements de manière répétée, y compris à l’issue de possibles nouvelles législatives cet automne, le Président y sera politiquement contraint afin de débloquer la situation.
Des élections présidentielles anticipées ne semblent toutefois pas susceptibles d'effacer la crise politique actuelle, car elles conforteraient la tripartition de la vie politique française que l’on connaît, et ruineraient les efforts entrepris depuis juillet dernier pour appeler les partis politiques à dialoguer de manière constructive. En effet, ce scrutin induit mécaniquement des divisions : les différents partis se rangent derrière leurs candidats respectifs et récusent par principe toute forme de coopération avec leurs adversaires. Si les élections avaient lieu en 2025, elles prendraient la forme d’une compétition entre les leaders des trois blocs qui structurent aujourd’hui la vie politique française : le NFP, le centre allié à la droite, et l’extrême-droite. Le vainqueur serait majoritaire dans les urnes, par la force d’un second tour limité à deux protagonistes, mais sans doute minoritaire dans l’opinion. En outre, rien n’indique qu’il ou elle serait capable de trouver une majorité stable à l’issue des élections législatives qui suivraient. Les institutions de la V° République ont certes été pensées et réformées dans cet objectif, mais le précédent de 2022 montre que la validation du résultat des présidentielles par les législatives n’a rien d’automatique quand la bipolarisation n'est plus la norme.
Une annonce pour se venger de François Bayrou ?
En somme, l’idée d’une consultation des citoyens en 2025, sous quelque forme que ce soit, n’est la garantie de rien. Elle est au contraire de nature à affaiblir le gouvernement de François Bayrou au moment où il prend ses marques. La promesse d’Emmanuel Macron semble en effet partir du principe qu’il échouera à trouver les majorités requises et à s’inscrire dans le temps, et qu’il faudra vite consulter à nouveau les Français pour surmonter une situation de blocage ou une nouvelle censure. Il est vrai qu’une analyse objective des choses n’incite pas à miser sur un succès du gouvernement Bayrou, mais le Président est censé donner le change et soutenir son Premier ministre, pas faire des pronostics à destination des parieurs.
Le fait que François Bayrou ait contraint Emmanuel Macron à le nommer à Matignon, en menaçant de quitter le bloc central avec les 36 députés du MoDem, n’est sans doute pas étranger à la référence du Président à la consultation des Français... On ne tord pas impunément le bras d’un homme qui entend, contre vents et marées, rester le maître du jeu politique français.
Olivier Costa
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