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Photo du rédacteurOlivier Costa

Peut-on faire de la V° République un régime parlementaire?

Dernière mise à jour : 22 août


A l’issue des Jeux olympiques, Emmanuel Macron a annoncé qu’il recevrait à partir du 23 août les chefs de partis et de groupes parlementaires, en vue de la nomination d'un nouveau gouvernement. Certains ont critiqué sa prétention à vouloir contrôler ce processus. D’autres se sont réjouis de le voir prendre enfin ses responsabilités. Une sortie de crise est-elle possible? A quel prix?

 

 

Un président qui temporise, des Insoumis qui perdent leurs nerfs…

 

Ces derniers temps, de nombreux observateurs et responsables politiques ont vertement reproché à Emmanuel Macron de temporiser et d’ignorer la gravité de la situation politique. Il est vrai que, d’une manière générale, il a toujours aimé imposer son calendrier et son rythme, qui ont rarement été précipités, sauf sans doute pour annoncer la dissolution le 9 juin 2024… En vertu d’un mélange d’orgueil, de considérations tactiques et d’une certaine conception de sa fonction, il ne laisse personne lui dicter la cadence, jouant avec les nerfs des autres responsables politiques. Rappelons que les élections législatives remontent à plus de six semaines, et que le gouvernement Attal est démissionnaire depuis plus d’un mois.

 

Les leaders de LFI ont vu dans la décision d’Emmanuel Macron de ne pas nommer un des leurs à Matignon dès le lendemain du second tour des législatives, puis de ne pas proposer le poste à Lucie Castets, un déni de démocratie. Ils ont considéré que son refus initial d’accepter la démission de Gabriel Attal, puis le renvoi à après les jeux olympiques de la nomination d’un nouveau gouvernement, étaient des provocations. Dimanche dernier (La Tribune, 17 août 2024) ils ont ainsi annoncé leur volonté de lancer une procédure de destitution du Président, pour sanctionner ce comportement.

 

 

Un avion tractant une banderole avec la mention "destitution" a survolé le littoral de la Côte d'Opale le 17 août 2024.

 

 

Une procédure de destitution qui n’aboutira pas

 

Cette procédure n’a aucune chance d’aboutir. L’article 68 de la constitution qui la prévoit a été introduit en 2007, dans le cadre d’une réflexion globale sur le statut pénal du Président de la République, menée par la Commission Avril. Selon la constitution de 1958, le Président est par principe irresponsable devant le Parlement, au nom de la séparation des pouvoirs, mais il peut être démis pour « haute trahison » – en plus de sa responsabilité personnelle pénale et civile. Les tenants de la réforme de 2007 ont jugé utile de remplacer cette notion très vague par celle de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de ses fonctions ». Il reste que la procédure de destitution ne vient pas sanctionner un désaccord politique, mais démettre un Président qui prendrait trop de libertés avec la constitution et ses obligations, ou serait incapable d’exercer son mandat.

 

Afin d’éviter les usages politiciens de la procédure, celle-ci est très exigeante : une proposition doit être faite par 10% des députés ou sénateurs ; elle doit être validée par le bureau de l’assemblée concernée ; elle doit être examinée par la commission des lois ; et surtout elle doit être adoptée à la majorité des deux tiers des membres de chaque chambre. Il faut donc que la destitution soit approuvée par 387 députés et 234 sénateurs. Autant dire que la proposition des responsables de LFI ne peut en aucun cas aboutir. C’est un coup de communication comme Jean-Luc Mélenchon les affectionne, qui lui permet de rester au centre du jeu politique en vue des prochaines élections présidentielles.

 


Emmanuel Macron reprend l’initiative

 

Le Président a toutefois annoncé le 16 août sa volonté de convier « les présidents des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat ainsi que les chefs de partis représentés au Parlement pour une série d’échanges » afin de tenter de constituer un gouvernement. L’Elysée a annoncé, mardi 20 août, que « la nomination d’un Premier ministre interviendra dans le prolongement de ces consultations et de leurs conclusions ».


Palais de l’Elysée

 


Une première réunion est prévue vendredi 23 août le matin, avec les quatre formations du Nouveau Front populaire (NFP) - les forces politiques étant reçues par ordre d'importance à l'Assemblée. Leurs leaders ont annoncé qu’ils se rendraient collectivement à cette invitation, accompagnés de Lucie Castets ; l’Elysée a accepté sa présence, bien qu’elle ne soit ni parlementaire ni responsable de parti. Une deuxième réunion est prévue lundi 26 août, avec les dirigeants du Rassemblement national (RN) – Marine Le Pen et Jordan Bardella – et leur allié de droite Eric Ciotti.

 

Le député Renaissance Jean-René Cazeneuve a affirmé que les élus du camp présidentiel étaient « prêts à des compromis » avec les socialistes pour permettre l’émergence d’une coalition, mais en rappelant qu’un gouvernement impliquant des députés LFI serait immédiatement censuré par son parti. Le 20 août, Raphaël Glucksmann, cofondateur de Place Publique et tête de liste socialiste aux élections européennes, a appelé la gauche à « négocier des compromis » et à s'affranchir de Jean-Luc Mélenchon (Le Point).

 


Lucie Castets, entourée de la secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts, Marine Tondelier, et d’Aurélien Le Coq, député LFI, à Lille, le 27 juillet 2024 (L. Pastureau/H. Lucas, Le Monde) 

 

La démarche du Président est-elle légitime ?

 

Certains à gauche estiment que ce n’est pas ainsi que cela doit se passer, et qu’il revient à Emmanuel Macron de nommer Lucie Castets sans y mettre de conditions ni essayer d’intervenir dans la constitution du nouveau gouvernement. C’est l'une des justifications avancées par les responsables de LFI – Jean-Luc Mélenchon, Manuel Bompard et Mathilde Panot – pour proposer une destitution.

 

Mais les réunions annoncées n’ont rien de contraire à la constitution, qui laisse les mains libres au Président quant à la manière dont il entend choisir le Premier ministre, et au calendrier pour le faire. L'article 8 n'encadre en effet pas cette procédure : « Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions ». Et ni la constitution ni la tradition politique ne prévoit que le Parlement ou les partis auraient vocation à proposer ou imposer des noms.

 

Ensuite, politiquement parlant, ces réunions semblent plus que nécessaires et urgentes. Depuis le début de l’été, tout le monde estime, à raison, que la V° République doit fonctionner de manière plus « parlementaire », pour prendre acte de la situation politique : un Président qui a perdu son pari en dissolvant l’Assemblée nationale ; une absence de majorité ; une coalition (le NFP) arrivée en tête mais qui est loin de la majorité absolue (193 sièges, alors qu’il en faut 289 pour gouverner sereinement) et dont la cohésion interne est limitée par de profondes divergences sur les questions européennes et internationales, la réforme des retraites, le nucléaire… Les autres partis n’ont montré aucun signe d’entente, la droite étant particulièrement divisée sur la conduite à tenir et réservée quant à l’idée de participer à une coalition. L’extrême-droite est pour sa part marginalisée.

 

Il faut donc envisager les différentes possibilités, clarifier les positions et faire émerger des points de consensus. Et cela ne se fera pas spontanément, dans un pays qui est habitué à la confrontation politique. En France, les coalitions – telles que le NFP ou Ensemble ! – sont habituellement négociées avant les élections ; dans les régimes parlementaires, elles le sont après, au terme d’un processus où les partis essaient de se mettre d’accord sur un programme et un gouvernement. Ce sont deux approches différentes de la vie politique, qui ont chacune leurs vertus et leurs défauts. En l’absence de majorité, la France doit tout simplement changer de modèle, car le premier ne fonctionne plus.

 

 

L’initiative d’Emmanuel Macron n’aura de sens qu’à deux conditions

 

Pour que les réunions prévues dans les jours à venir permettent d’aboutir à la nomination d’un gouvernement capable d’agir et d’échapper à la censure, deux conditions doivent être remplies.

 

Il faut d’abord que les responsables politiques aient une vraie volonté de dialogue. Cela implique, au NFP, d’en finir avec l’approche radicale portée par LFI et de se montrer ouvert à la discussion avec les autres partis, situés plus au centre et à droite. Les leaders insoumis restant sur l’idée que le gouvernement devra appliquer le programme du NFP, rien que ce programme et tout ce programme, il convient que la ligne portée par Raphaël Glucksmann s’impose. Lucie Castets s’est montrée suffisamment prudente et réaliste pour que cela soit possible, comme l’attestent ses déclarations récentes à Libération (20 août 2024); elle se dit en effet prête à « créer du consensus ».

 

Il faut, ensuite, que le Président accepte réellement d’entrer dans une ère parlementaire. Quel que soit le futur Premier Ministre, il devra se mettre en retrait sur les questions de politique intérieure et laisser le gouvernement gouverner. Car rien dans la constitution ne prévoit que le Président s’implique dans la gestion quotidienne des affaires : c’est une simple pratique qui s’est développée sous la V°, en raison du tempérament particulier de Charles de Gaulle, d’abord, puis du fait que ses successeurs étaient tous des chefs de partis et, de fait, les leaders de la majorité parlementaire (sauf situation de cohabitation). Dans d’autres pays européens où le Président est élu au suffrage universel direct – Finlande, Autriche, Portugal… – tel n’est pas le cas : c’est une personne située plus en retrait du débat politique, qui laisse son Premier Ministre gouverner et veille à la préservation des institutions et de l’intérêt général.

 

Emmanuel Macron ne peut plus prétendre à la confusion des rôles qui a dominé la V° République, et qui amène le Premier Ministre à être un simple « collaborateur » du Président, et ce pour trois raisons. D’abord, son parti a perdu les élections législatives, avec un nombre de députés en fort recul : il serait paradoxal qu’il continue à décider de tout. Ensuite, le Président est très impopulaire dans l’opinion publique : s’il nomme un Premier Ministre proche de lui, celui-ci sera immédiatement disqualifié aux yeux d’une majorité d’électeurs, quel que soit son programme. Enfin, le Emmanuel Macron est un épouvantail à l’Assemblée nationale comme au Sénat : si le gouvernement est perçu comme étant à ses ordres, celui-ci sera incapable de faire adopter des textes et d’échapper à la censure. Il faut donc un Premier Ministre de cohabitation, qui ne prenne pas ses instructions à l’Elysée.

 


En finir avec l’élection du Président au suffrage universel direct ?

 

Pour sortir de la crise politique que rencontre le pays, il faut accepter un vrai fonctionnement parlementaire de nos institutions, qui sont suffisamment souples pour cela. Il convient de distinguer clairement les rôles de Chef de l’Etat et de chef de la majorité. Durant les trois premières cohabitations, François Mitterrand et Jacques Chirac y étaient parvenus, en se repliant sur les questions européennes et internationales, et les enjeux de sécurité et de défense. Emmanuel Macron devra s’y résoudre lui aussi, et ce même si aucun parti ne l’a emporté le 7 juillet dernier.

 


Campagne référendaire de 1962 (photo archives RL)

 


A plus long terme, si la « tripartition » NFP / Centre-LR / RN se stabilise, il faudra que les partis français en finissent avec leur obsession présidentielle. L’élection présidentielle doit devenir, comme en Autriche, en Finlande ou au Portugal, la simple désignation d’un leader respecté, capable d’assurer le bon fonctionnement des institutions et de promouvoir l’intérêt général, et non d’un chef de parti, désireux de gouverner et de se mêler de tout. Mais on peut douter que ce soit possible, tant les responsables politiques français sont obsédés par la perspective d’un destin élyséen. Il faut sans doute en finir avec l’élection du président au suffrage universel direct. Rappelons qu’elle n’était pas prévue par la constitution de 1958, mais qu'elle découle d’une réforme constitutionnelle de 1962 voulue par Charles de Gaulle pour surmonter une crise politique. Les institutions de la V° République peuvent donc très bien fonctionner sans cette élection.


Olivier Costa

 

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