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  • Photo du rédacteurOlivier Costa

Pourquoi Emmanuel Macron doit nommer Lucie Castets à Matignon


Après quelques jours de consultations, Emmanuel Macron a déclaré qu’il n’avait pas encore de solution : il écarte l’hypothèse Lucie Castets, et veut poursuivre les échanges avec les responsables des partis – à l’exception du RN et de ses alliés, et de LFI. Les leaders du NFP ont toutefois annoncé qu’ils refusaient d’y participer, et exigent une nouvelle fois la nomination de Lucie Castets, au nom de leur victoire du 7 juillet. On peine toutefois à comprendre de quels soutiens elle pourrait se prévaloir pour gouverner et échapper à la censure. Alors, comment sortir de l’imbroglio ? Mais en nommant Lucie Castets!

 

 

Composition de l'Assemblée nationale (27 août 2024)



Toute réflexion sur la situation politique actuelle doit être structurée par 5 constats objectifs :

 

1.     Aucun parti n’a gagné les élections. Le NFP a une majorité relative, mais c’est la plus faible sous la V° République et il lui manque près de 100 députés pour appliquer son programme et échapper à la censure de l’Assemblée nationale. Il est en effet impossible pour un parti qui compte seulement un tiers des sièges au Palais Bourbon de gouverner sans négocier avec personne. L’idée, notamment, que la réforme des retraites pourrait être abrogée par décret – comme l’a encore affirmé récemment Sandrine Rousseau – vaudrait un zéro pointé à un étudiant de première année en fac de droit. Quant à l’article 49.3 de la Constitution, dont la gauche a si bien dénoncé le caractère attentatoire à la démocratie, il ne peut être utilisé qu’une fois par session parlementaire, en sus des lois de finance. Rappelons enfin qu’il suffit de 289 députés pour renverser le gouvernement ; or, 384 députés ne siègent pas au NFP.

 


Tweet de Sandrine Rousseau (26 août 2024)



2.     L’article 8 de la Constitution laisse entière liberté au Président quant au choix du Premier ministre : il nomme qui il veut, quand il veut. Ni le parlement ni les partis ne sont supposés intervenir dans ce processus, même si le Chef de l’Etat est libre – comme il le fait depuis vendredi dernier – de les consulter, et si, politiquement, il lui revient de nommer un Premier ministre capable de gouverner et d'échapper à la censure.

 

3.     Dans les régimes parlementaires classiques, le parti arrivé en tête des élections a toujours la priorité pour essayer de constituer une majorité. Mais, en aucun cas, il ne peut gouverner en refusant de négocier un programme de coalition avec d’autres partis. Il appartient à son leader de prouver au Chef de l’Etat qu’il dispose d’une majorité, faute de quoi, la mission de constituer un gouvernement est confiée au représentant d’un autre parti. C’est la raison pour laquelle la constitution d’un gouvernement en régime parlementaire est souvent très longue ; à plusieurs reprises, elle a pris plus d’un an chez nos voisins belges.

 

4.     Jean-Luc Mélenchon a proposé que le gouvernement soit dépourvu de ministres Insoumis, afin d’échapper aux menaces de censure que brandissent les autres partis. En échange de cette concession, il exige que ce gouvernement applique exclusivement le programme du NFP et que les leaders des autres formations s’engagent à ne pas déposer de motion de censure. Cette double revendication a été unanimement rejetée et moquée. Rappelons que LFI a déposé pas moins de 26 motions de censure contre les gouvernements Borne et Attal, qui disposaient d’une majorité relative bien plus large que celle du NFP…

 

5.     La représentation parlementaire penche aujourd’hui très à droite. Avec 193 sièges, le NFP est arrivé en tête, mais la droite au sens large (majorité présidentielle, Républicains et RN) compte 339 députés. Il est donc exagéré de dire que les électeurs ont massivement appelé à un coup de barre à gauche : seuls 25,7% se sont prononcés pour des candidats du NFP le 7 juillet dernier – bien moins que pour le RN (32%).

 


 Résultats du second tour des élections législatives, 7 juillet 2024



La seule solution? Nommer Lucie Castets!


Compte tenu de ces 5 éléments, il apparaît que la seule solution raisonnable pour faire avancer les choses serait… la nomination de Lucie Castets à Matignon. Cela peut sembler paradoxal, mais on voit mal comment il sera possible de surmonter la crise politique actuelle sans en passer par là. Ce choix présenterait en effet deux avantages. D’abord, il permettrait d’éviter le blocage du pays que les partis du NFP, les syndicats et certaines organisations de la société civile préparent pour la rentrée. Les appels à manifester le 7 septembre se multiplient. La petite musique de la « dérive illibérale » du Président, entonnée notamment par Marine Tondelier, trouvera en effet un fort écho, compte tenu du degré d’impopularité du Président et d’impatience de nombre de citoyens, et aboutira sans doute à une situation très conflictuelle. En outre, le gouvernement, démissionnaire depuis 42 jours, ne peut éternellement expédier les affaires courantes et, surtout, opérer les arbitrages fondamentaux que réclame la préparation du budget 2025 – alors que la majorité présidentielle a clairement perdu les élections législatives. Il faut nommer un nouveau gouvernement, et vite.



La délégation du NFP à l'Elysée vendredi dernier

 

Le second avantage de la nomination de Mme Castets serait la clarification. En effet, elle n’aurait que deux options.


La première serait le pragmatisme. Elle impliquerait de récuser la ligne politique maximaliste de Jean-Luc Mélenchon, et d’ouvrir de vraies négociations avec les partis politiques du centre et de la droite modérée, pour trouver un accord de coalition. Il inclurait une liste de réformes et une répartition des portefeuilles ministériels. C’est le prix à payer pour obtenir le soutien des autres partis ou, au moins, leur engagement à ne pas censurer immédiatement le gouvernement. Le NFP pourrait avoir satisfaction sur certains points de son programme (réforme des retraites, hausse du Smic, rétablissement de l’ISF ?), mais devrait faire des concessions sur d’autres. A ce compte, un gouvernement dominé par la gauche pourrait gérer le pays et échapper à la censure, en attendant les prochaines élections législatives ou présidentielles.


Si Lucie Castets choisissait de s’en tenir au programme du NFP, même en écartant les Insoumis de son gouvernement et en impliquant des ministres sans étiquette, le vote d’une censure serait inévitable. Les leaders de tous les autres groupes parlementaires ont en effet clairement annoncé leurs intentions à ce propos : la censure immédiate d’un gouvernement prétendant appliquer le programme du NFP. Tout serait à refaire.



La censure, indispensable rappel à la réalité politique et institutionnelle


La première hypothèse semble improbable. Compte tenu des rapports de force au sein du NFP et des dispositions des leaders des autres partis, on voit mal comment un gouvernement Castets pourrait échapper durablement à la censure. Alors, pourquoi la nommer ? Cette censure ajouterait une crise à la crise, et génèrerait la confusion, voire le chaos.

 

Elle présenterait toutefois l’avantage essentiel de ramener l'ensemble des responsables politiques à la réalité. Les leaders du NFP ne pourraient plus prétendre qu’ils ont gagné les élections, qu’ils disposent d’une majorité pour gouverner, qu’ils peuvent appliquer leur programme à coup de décrets ou de 49.3, et que seul Emmanuel Macron les en empêche. Ils seraient confrontés à la réalité constitutionnelle et politique qu’ils nient depuis le 7 juillet. La méthode Coué et la dénonciation de l’arrogance présidentielle engendrent de beaux éditoriaux, des tweets savoureux et des discours enflammés, qui permettent de galvaniser les militants et de convaincre certains citoyens, mais elles n'influent ni sur la constitution ni sur le résultat des élections.


Le rappel à la réalité ne concernerait pas que les leaders du NFP, mais tous les responsables politiques. Aujourd’hui, ils ne pensent qu’aux élections présidentielles de 2027 et à l’éventualité d’une nouvelle dissolution à l’été 2025, et peaufinent leurs stratégies en fonction de ces deux échéances, sans égard pour la situation du pays. C’est notamment le cas de Jean-Luc Mélenchon qui fait pression sur ses partenaires du NFP en vue de possibles élections législatives l’an prochain (sans union, socialistes, communistes et écologistes disparaîtraient quasiment des bancs de l’Assemblée nationale) pour faire perdurer le NFP. Ce faisant, il veut empêcher l’émergence d’une autre candidature que la sienne à gauche, dans l’espoir de l’emporter sur Marine Le Pen au second tour des élections présidentielles de 2027. Mais le leader insoumis n’est pas le seul à jouer au billard à trois bandes : ses homologues du centre, de la droite et de l’extrême-droite sont eux aussi obnubilés par la bataille pour le leadership dans leur parti, la préservation de son poids à l’Assemblée nationale et les perspectives de l’après-Macron.

 

Une motion de censure les obligerait tous à se focaliser sur les problèmes du moment : la négociation d’un accord de coalition et la nomination d’un gouvernement capable de gérer durablement les affaires du pays. Certes, la culture politique française est étrangère à ce type de négociations d’après élections, car jamais la représentation parlementaire n’a été aussi fragmentée sous la V° République. Mais la situation politique a changé, et il faut en prendre acte, plutôt que de le déplorer ou de le nier. Un électrochoc semble aujourd'hui indispensable pour faire évoluer les comportements et les stratégies.



Olivier Costa

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