Yaël Braun-Pivet, Présidente sortante de l’Assemblée nationale, membre de Renaissance, vient d’être réélue au terme de trois tours d’un scrutin disputé. D’ordinaire, cette élection n’est pas un événement politique majeur. Depuis le début des années 2000, elle intervient après les élections présidentielles et législatives, quand la messe est dite. En outre, le Président de l’Assemblée nationale est certes le 4° personnage de l’État, mais il ou elle a relativement peu de pouvoir et d’influence, et son rôle est surtout interne à l’institution. Aujourd’hui, l’événement était néanmoins scruté de toutes parts, dans un contexte chaotique où tout le monde guette des indications objectives des rapports de force à l'Assemblée.
Bilan de la journée.
Un scrutin d’ordinaire discret
En temps normal, peu de citoyens peuvent, spontanément, citer le nom du président ou de la présidente de l’Assemblée nationale. Son élection ne suscite d’ordinaire qu’un faible intérêt des médias, car elle mobilise avant tout les personnes concernées.
Cette année, c’est différent, pour quatre raisons.
D’abord, l’élection à la présidence a lieu alors que rien n’avance par ailleurs. C’est le premier élément de clarification du paysage politique depuis le 7 juillet. C’était une manière pour le NFP de montrer que ses quatre composantes étaient d’accord sur quelque chose – en l’occurrence le nom de leur candidat au perchoir. Emmanuel Macron avait aussi fait de ce scrutin un moment important, affirmant attendre « la structuration de l’Assemblée » pour prendre la moindre décision.
Ensuite, l'élection au perchoir a permis aux différents partis de compter leurs forces, et d’évaluer les ressources dont les trois grands blocs (NFP, majorité présidentielle et RN) disposent et de leur capacité à fédérer au-delà de leurs rangs.
En troisième lieu, l’élection intéressait car elle est inédite : pour la première fois depuis 1958, la Présidente de l’Assemblée nationale est issue d’un groupe « minoritaire », qui ne sera peut-être pas au gouvernement. Son rôle ne sera pas aisé, car elle sera structurellement minoritaire dans sa propre Assemblée, alors même qu'elle doit en défendre les intérêts et en organiser les travaux.
Pour finir, la fonction aura plus d’importance à l’avenir, compte tenu du rééquilibrage probable entre les pouvoirs exécutif et législatif. La présidence de l’Assemblée devra, d’abord, conduire les travaux de l’assemblée, malgré sa fragmentation. Elle devra aussi contribuer à la définir la stratégie de l’institution, qui sera en capacité de refuser certaines initiatives du gouvernement, quel qu’il soit, et de promouvoir ses propres idées, qui d’ordinaire ne font pas l’objet d’une grande attention de la part du Président et du Premier ministre.
Quatre candidats: Charles de Courson, Yaël Braun-Pivet, André Chassaigne et Sébastien Chenu (AFP)
Des règles spécifiques
L’élection a mis aux prises six candidats, représentants les principaux groupes politiques. En raison du mode de scrutin, ils sont encouragés à présenter leur propre candidat, du moins au premier tour. Il s’agit d’un scrutin à bulletin secrets, qui met les députés à l’abri de toute pression de la part de leur groupe ou de leur parti ; des surprises sont donc toujours possibles.
Aux deux premiers tours, pour être élu, un candidat doit obtenir la majorité absolue des scrutins exprimés ; certains peuvent se retirer au fil des tours de scrutin. Si aucun candidat n’obtient la majorité absolue au premier ou au deuxième tour, on organise un troisième tour à la majorité relative : le candidat qui a le plus de voix l’emporte.
Aujourd'hui, les six candidats étaient :
André Chassaigne, député communiste, pour le Nouveau Front populaire (NFP)
Yaël Braun-Pivet, Renaissance, pour les groupe Ensemble pour la République et MoDem, Présidente sortante
Charles de Courson, centriste, pour le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT)
Naïma Moutchou, pour le groupe Horizons
Philippe Juvin, pour le groupe de La Droite républicaine.
Sébastien Chenu, député RN, pour son groupe et ses alliés LR ciottistes
Une élection qui prévoit l’hypothèse d’une absence de majorité absolue
Cette élection, comme c'est souvent le cas pour ce scrutin dans les assemblées parlementaires, prévoit l’hypothèse d’une absence de majorité. Plutôt que de multiplier les tours de scrutin identiques, la majorité relative suffit au 3° tour. C’est l’un des mécanismes qui permettent de surmonter l’absence de majorité claire ; un autre serait de limiter l’accès au troisième tour aux deux candidats les mieux placés, comme c’est le cas pour les élections présidentielles au second tour.
Cette mécanique institutionnelle est toutefois limitée à ce scrutin, et ne présage pas de la capacité de l’Assemblée nationale à voter des lois. Pour cela, il faudra toujours une majorité absolue des suffrages exprimés, qu’aucun groupe ne semble pouvoir atteindre aujourd’hui – comme en attestent les résultats.
André Chassaigne (au centre)
Une élection très disputée
Au premier tour, les résultats ont été sans surprise :
André Chassaigne (NFP) : 200 voix
Yaël Braun-Pivet (Ensemble) : 124 voix
Charles de Courson (LIOT) : 18 voix
Naïma Moutchou (Horizons) : 38 voix
Philippe Juvin (La Droite républicaine) : 48 voix
Sébastien Chenu (RN) : 142 voix
Aucun candidat n’ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés (286 sur 570), un deuxième tour a été organisé. Naïma Moutchou (Horizons) et Philippe Juvin (La Droite républicaine) se sont retirés, mais Charles de Courson (LIOT) s’est maintenu. Au deuxième tour, les résultats ont été conformes à ce que l’on pouvait attendre, avec un fort report de voix de la droite sur la candidature de la Présidente sortante :
André Chassaigne (NFP) : 202 voix (+ 2)
Yaël Braun-Pivet (Ensemble) : 210 voix (+ 86)
Charles de Courson (LIOT) : 12 voix (- 6)
Sébastien Chenu (RN) : 143 voix (+ 1)
Le NFP et le RN ont échoué à séduire de nouveaux députés, tandis que Charles de Courson a été victime du vote utile. Aucun candidat n’ayant atteint la majorité des suffrages exprimés (284 sur 567), un troisième tour a été nécessaire. Charles de Courson (LIOT) s'est retiré. Au troisième tour, les résultats ont été les suivants:
André Chassaigne (NFP) : 207 voix (+ 5 par rapport au 2° tour, + 7 par rapport au 1er)
Yaël Braun-Pivet (Ensemble) : 220 voix (+10 par rapport au 2° tour et +96 par rapport au 1er)
Sébastien Chenu (RN) : 141 voix (- 2 voix par rapport au 2° tour, - 1 par rapport au 1er)
La Présidente sortante a donc été réélue, avec une majorité relative seulement. En 2022, lors du second tour, elle avait obtenu 242 voix sur les 462 exprimées, soit la majorité absolue.
Un décompte qui n’augure rien de bon pour la suite
Le principal enseignement de cette élection est la confirmation que l’Assemblée nationale est profondément divisée en trois blocs : NFP, Ensemble et divers droites, et RN. Elle a permis à chacun de jauger les forces en présence et d’envisager les possibilités d’alliances.
Côté NFP, André Chassaigne a fait un beau score au premier tour, au-delà des 182 sièges du NFP, grâce à ses qualités personnelles : celles d’un élu d’expérience, apprécié par ses pairs, enraciné dans la ruralité. Mais les tours successifs ont montré qu’il n’y a pas de « réserves de voix » pour le NFP: il n'en a gagné que 7 au fil des trois tours.
Du côté de la majorité présidentielle, le score au premier tour de la présidente sortante n'était pas très impressionnant (124 voix). Elle aurait dû pouvoir compter sur les voix de deux groupes de la majorité présidentielle : le groupe Ensemble pour la République, ex-Renaissance, qui compte 97 députés et le groupe MoDem, qui compte au moins 33 députés. Le groupe Horizons, qui appartient aussi à la majorité présidentielle, et compte environ 25 élus, a choisi de présenter sa propre candidate, Mme Moutchou, qui a bénéficié d’un score relativement important (38 voix) au premier tour, avant de se retirer. Mme Braun-Pivet a bénéficié des désistements successifs des 2 candidats de droite et du candidat LIOT, et a gagné près de 100 voix au fil des trois tours. Ce résultat laisse augurer de la possibilité d’un accord politique de la majorité présidentielle avec ces élus. Mais cette perspective n’est pas garantie, car les enjeux sont très différents, et l’élection du Président de l’Assemblée n’implique pas un accord politique.
Le groupe RN apparaît comme clairement isolé : il a fait le plein des voix au premier tour (142), mais son score est resté stable au fil des trois tours.
La nouvelle Présidente de l'Assemblée nationale
Le plus dur reste à venir...
La nouvelle Présidente devra faire en sorte que l’Assemblée puisse fonctionner – dans un contexte encore plus complexe que celui de 2022. Avec une dizaine de groupes, et des députés aussi peu désireux que ceux de LFI et du RN à contribuer à l’apaisement, la tâche sera rude. Le fait que certains réclament que le LFI et le RN soient exclus des postes à responsabilité de l’Assemblée risque d'envenimer les choses plus encore. On saura vendredi s’ils sont effectivement tenus à l’écart du Bureau de l’Assemblée.
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