Le 23 juillet, le Nouveau Front Populaire (NFP) a annoncé le nom de sa candidate à Matignon : Lucie Castets, haute-fonctionnaire de la ville de Paris, inconnue du grand public. Quelques heures plus tard, Emmanuel Macron a exclu de la nommer. Il a annoncé que le gouvernement Attal continuerait à expédier les affaires courantes jusqu’à la fin des jeux olympiques, et qu’il ne serait pas remplacé avant la mi-août. Mme Castets a néanmoins exigé de manière répétée d’être nommée Première ministre, et le NFP presse le Président en ce sens ; l’objectif est notamment que la gauche puisse préparer un projet de budget 2025 avant la rentrée. Concrètement, à quoi faut-il s’attendre ?
Une candidate surprise à Matignon
Mardi soir, 23 juillet, les responsables du NFP se sont mis d’accord, après plus de deux semaines de négociations tendues, pour proposer à Emmanuel Macron une candidate au poste de Premier ministre. L’annonce est intervenue une heure avant un entretien du Président sur France Télévision. Celui-ci a immédiatement douché les espoirs du NFP : « La question n'est pas un nom mais quelle majorité peut se dégager à l'Assemblée pour qu'un gouvernement puisse passer des réformes et un budget », en rappelant que le NFP n'avait pas de « majorité quelle qu'elle soit ».
Lucie Castets
Dès l’annonce du nom de la candidate du NFP, les responsables, militants et commentateurs politiques se sont lancés dans une surenchère de mauvaise foi. Alors que personne ne savait qui était Mme Castets, la gauche a loué dans les médias et sur les réseaux ses qualités inouïes et affirmé qu’elle bénéficiait d’un immense soutien populaire (Marine Tondelier), tandis que le centre, la droite et l’extrême-droite soulignaient son manque d’expérience et ses idées radicales, et lui imputaient la responsabilité de la dette de la ville de Paris. Immédiatement, des sondages ont été commandés : le 24 juillet, 58% des personnes interrogées estimaient qu’Emmanuel Macron ne devait pas nommer Lucie Castets à Matignon (sondage Elabe pour BFMTV). Les responsables du NFP ont accusé le Chef de l’Etat de ne pas respecter le choix démocratique des citoyens, voire d’opérer un coup d’Etat. Jean-Luc Mélenchon a appelé Emmanuel Macron à « se soumettre ou se démettre ».
Qui est Mme Castets et que veut-elle ?
Lucie Castets, 37 ans, est diplômée de Sciences Po Paris et de l’ENA. Actuellement directrice des finances et des achats à la ville de Paris, après avoir été pendant trois ans conseillère au cabinet d'Anne Hidalgo en charge du budget et de la finance verte, elle est très engagée sur divers sujets : la justice fiscale, la lutte contre l'évasion fiscale, l'écologie, la défense des services publics. Mme Castets a été présentée comme venant de « la société civile », sous-entendu qu’elle n’a aucun engagement politique et n’est liée à aucune composante du NFP. Elle a elle-même revendiqué un profil particulier, « hors du monde politique » (France Inter, 24 juillet 2024).
Mais certains ont fait valoir qu’elle avait été encartée au PS et qu’elle avait été candidate sur la liste du socialiste Nicolas Mayer-Rossignol aux élections régionales de 2015 en Haute-Normandie. Elle a toutefois quitté le PS « en désaccord avec l'orientation politique du quinquennat de François Hollande », comme l’a rappelé le député LFI Paul Vannier (Le Monde 23 juillet 2024). Des commentateurs ont noté que le « ménage » avait été fait pour lisser son profil sur Internet. Ils ont rappelé qu’elle siégeait au bureau de l’Observatoire contre l’extrême-droite, présidé par le sulfureux député LFI Thomas Portes, habitué des prises de position radicales. Du côté de la majorité présidentielle, on a argué que Mme Castets, qui est présentée comme une simple citoyenne, militante de la défense des services publics, par opposition à l’énarque Macron, hors-sol et sans notion de la "vraie vie", est elle-même une énarque, n’ayant aucune expérience professionnelle extérieure à la haute-fonction publique…
Les médias ont noté que, sur beaucoup de sujets, Mme Castets a démontré une certaine maîtrise de la langue de bois. Les athlètes israéliens ont-ils leur place aux J.O. ? La candidate à Matignon n’a pas répondu. Certains à gauche ont-ils eu tort de refuser de qualifier le Hamas de mouvement terroriste ? Elle ne « souhaite pas commenter ». Faut-il sortir du nucléaire ? Elle ne se prononce pas pour l’instant. Fallait-il exclure le RN du Bureau de l’Assemblée nationale ? Elle n’a pas d’avis personnel. Envisage-t-elle d’utiliser l’article 49.3 ? Mme Castets indique qu'elle ne peut pas, « par principe », affirmer qu'elle ne le fera pas – même si la gauche a vilipendé les gouvernements Borne et Attal pour l’avoir fait.
Peut-elle vraiment gouverner ?
Lucie Castets a été pugnace dans les médias pour exiger sa nomination à Matignon et dénoncer le refus d’Emmanuel Macron d’y procéder. Elle a aussi écarté, lors de ses premières interventions, toute perspective de coalition entre la gauche et le camp présidentiel, notamment sur la fiscalité ou les services publics. Mme Castets juge en effet qu’une telle coalition « est impossible du fait de désaccords profonds ».
Elle s’est ensuite montrée plus conciliante. Dans un entretien à la Tribune Dimanche, le 28 juillet 2024, elle a annoncé être prête à faire « des compromis sauf avec le RN ». Elle n’exclut pas de négocier avec les autres partis, au cas par cas, sur des textes précis. Elle a aussi estimé que le NFP pourrait voter des propositions du RN… Mais elle semble toujours décidée à appliquer le programme du NFP et refuse de négocier un accord global avec d’autres partis.
En somme, elle fait sien les trois éléments centraux du discours que tiennent les leaders du NFP depuis le 7 juillet. Le premier consiste à revendiquer la majorité, bien qu’il s’agisse d’une majorité relative, la plus faible sous la V° République. Rappelons que, depuis 2022, les élus gauche n’ont cessé de répéter que le groupe Ensemble (Renaissance, Modem et Horizons), qui était composé de 250 députés, formait une « minorité présidentielle »; or la coalition du NFP ne compte que 193 députés.
La composition actuelle de l’Assemblée nationale
En deuxième lieu, Mme Castets, comme le NFP, exige qu’Emmanuel Macron la nomme à Matignon. Mais rien dans la constitution ne l’y oblige, puisque l’article 8 lui laisse entière liberté en la matière. Enfin, elle fait sienne la prétention à « appliquer le programme du NFP, rien que ce programme, tout ce programme ». Mais on ne voit pas comment cela serait possible, avec moins de 200 députés, d'autant que l'élection de la Présidente de l'Assemblée nationale a montré qu'il n'y avait pas de réserve de voix pour le NFP.
Le mélange de méthode Coué, de déni et de caprice qui structure le discours du NFP depuis le 7 juillet se heurte durablement à la réalité des résultats et à la constitution française. Personne ne peut faire en sorte que Mme Castets puisse appliquer le programme du NFP sans majorité, car on ne peut ni modifier les résultats du scrutin, ni contraindre les députés hors-NFP à la soutenir, ni réviser la constitution française – qui exige que les lois soient adoptées à la majorité des suffrages exprimés à l’Assemblée nationale comme au Sénat. La revendication par Mme Castets d'un vaste soutien populaire au gré de sa tournée actuelle en France n'y changera rien; le 7 juillet, le NFP n'a recueilli qu'un quart des voix – loin derrière le RN – et il lui manque 100 sièges pour avoir une majorité absolue. L’inextricable situation politique actuelle peut se résumer à cette belle formule, lue sur les réseaux sociaux : « le NFP a gagné au chifoumi contre quelqu’un qui ne jouait pas ».
Deux contraintes indépassables
Au risque de se répéter, l’équation pour la nomination d’un nouveau gouvernement comprend deux paramètres non modifiables.
D’abord, le NFP – ou tout autre parti – ne pourra gouverner seul. C’est le b.a.-ba du droit constitutionnel et de l’analyse politique, et il est surprenant qu’une partie des élus de gauche persistent à nier cette réalité ou, pire, aspirent à une forme de gouvernement minoritaire faisant fi de la constitution et du résultat des élections. D’aucuns imaginent contourner l’Assemblée nationale à coup de décrets, notamment pour abroger la réforme des retraites, et envisagent le recours au 49.3, présenté hier comme l'instrument d'une dérive autoritaire. Le dédain pour les règles vaut aussi pour les traités européens. Mme Castets veut en effet faire abstraction des règles du Pacte de stabilité budgétaire européen, qui encadre le niveau de déficit et d'endettement des Etats. Mais ce traité a été rédigé à l’initiative de la France, ratifié par celle-ci et ses dispositions s’imposent à elle. Les choses ne peuvent fonctionner ainsi – sauf à tomber dans un régime illibéral ou à quitter l’Union européenne.
En second lieu, le risque de censure d’un gouvernement Castets – ou de tout autre non adossé à un accord de coalition – serait grand. Les députés de la majorité présidentielle et ceux du RN ont en effet annoncé, chacun de leur côté, leur intention de censurer un gouvernement qui comprendrait des membres de La France insoumise. La Première ministre pourrait essayer de trouver des majorités, texte par texte. Mme Castets a d'ailleurs détaillé ses premières mesures, qui sont relativement consensuelles : report de l’entrée en vigueur de la réforme des retraites, revalorisation des minima sociaux, rétablissement de l’impôt sur la fortune, renforcement des services publics… Il est possible que le NFP bénéficie du soutien d'autres élus, y compris du RN, sur certains de ces points. On peut aussi imaginer que le RN s’abstienne de voter une motion de censure déposée par Renaissance ou les Républicains, par refus de collaborer avec eux ou par volonté stratégique d’entretenir un chaos profitable à Marine Le Pen en vue des élections présidentielles de 2027. Mais si un gouvernement Castets prenait des initiatives pour sortir du nucléaire, taxer davantage les entreprises ou reconnaître la Palestine, le vote d'une motion de censure serait probable.
Emmanuel Macron doit prendre ses responsabilités
Le Président ne peut pas continuer, comme il le fait depuis trois semaines, à attendre qu’émerge une majorité à l’Assemblée nationale. La nouvelle situation politique de tripartition (NFP, majorité présidentielle, RN) appelle à faire évoluer la lecture des institutions françaises, mais pas de manière aussi radicale que l'affirme Emmanuel Macron. Certes, il ne peut plus nommer qui bon lui semble, mais il ne peut pas non plus se contenter de temporiser en félicitant les médaillés olympiques jusqu’à ce que des partis politiques négocient un accord majoritaire et se fassent connaître. Le temps presse. Le Président doit prendre l’initiative et organiser ce dialogue, qui ne va pas s’opérer de manière spontanée. Il pourrait déjà rencontrer Mme Castets, pour faire le point sur ses intentions et les soutiens dont elle dispose.
Emmanuel Macron aux jeux olympiques
L’entourage présidentiel commence à se mobiliser. Il cherche une alternative à la nomination de Mme Castets et essaie de surmonter les réticences du leader des Républicains, M. Wauquiez, à participer à un gouvernement de coalition. M. Attal et ses proches ébauchent un « pacte législatif » qui pourrait convaincre les Républicains de soutenir un gouvernement issu de la majorité présidentielle. Ce document doit être examiné par les députés macronistes mardi 30 juillet, avant de faire l’objet de discussions avec les représentants d’autres partis.
Une cohabitation désormais incontournable?
Beaucoup sont sceptiques quant à la possibilité de nommer un Premier ministre issu de la majorité présidentielle. C'est politiquement délicat, après une dissolution ratée, et les Républicains ne semblent pas disposés à gouverner avec Renaissance. L'alternative serait la nomination d'une personnalité expérimentée du centre-gauche ou du centre-droit, n'appartenant pas à la majorité présidentielle, dans une logique de cohabitation. En effet, Emmanuel Macron a fini par reconnaître, lors de son entretien télévisé du 23 juillet, que son camp avait perdu les élections législatives. Cela rend impossible la reconduction de Gabriel Attal ou la nomination d’un proche du Président. Et cela le contraindra à prendre du recul pour laisser le futur Premier ministre gouverner – comme l’avaient fait François Mitterrand et Jacques Chirac lors des premières cohabitations.
Xavier Bertrand
Divers noms sont évoqués: Xavier Bertrand, président de la région des Hauts-de-France, proche des Républicains ; Michel Barnier, ancien ministre de l'Europe et des affaires étrangères et négociateur du Brexit, également proche des Républicains ; Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre et ministre de l’intérieur, figure de la gauche sociale-démocrate... Mais, eux aussi, devront trouver une majorité pour gouverner et inventer de nouvelles relations entre les partis. Ce qui passe nécessairement par la négociation d’un programme de gouvernement consensuel.
Olivier Costa
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