Dimanche soir, l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron a occulté en France les résultats des élections européennes. Pourtant le scrutin est riche d’enseignements et aura un impact sur les activités de l’Union pour les cinq prochaines années.
Voici les six éléments à retenir.
1. UNE PARTICIPATION EN HAUSSE
Les élections européennes confirment d’abord l’intérêt qu’elles suscitent auprès des citoyens. La participation s’élève, à l’échelle de l’Union, à 51% en moyenne, en légère hausse par rapport à 2019, avec toujours d’importants écarts nationaux : de 21,3% en Croatie à 89,8% en Belgique – où le vote est obligatoire et où d’autres élections avaient lieu le même jour. En France, elle atteint 51,49 %, là encore en hausse par rapport aux précédentes échéances : 40,6 % en 2009, 42,4 % en 2014 et 50,1 % en 2019. Comme on l’a déjà écrit, il est temps d’en finir avec l’idée que les citoyens ne s’intéressent pas aux élections européennes : elles se sont installées dans le paysage politique et constituent dans nombre d’Etats membres un événement politique majeur. Le fait qu’Emmanuel Macron ait décidé de dissoudre l’Assemblée nationale à la vue des résultats en est la meilleure preuve. Qui aurait imaginé pareille conséquence d’un scrutin européen il y a 20 ans ?
2. UN PARLEMENT PLUS A DROITE
Le Parlement européen (PE) poursuit l’évolution entamée lors des précédents scrutins, et penche toujours plus à droite, mais il n’y a pas eu de lame de fond. Dans certains pays – comme la France, l’Autriche, les Pays-Bas ou l’Allemagne – les partis d’extrême-droite ont réalisé des scores historiques, mais ce n’est pas le cas partout. En Italie, le total des députés d’extrême-droite décline (40, contre 43 en 2019), malgré le succès du parti de Giorgia Meloni, Fratelli d’Italia. En Pologne, le PiS recule aussi, de 26 à 20 députés. Le reflux est également net au Danemark, en Suède et en Finlande. Ainsi, alors que le PE a gagné 15 sièges, passant de 705 and 720 membres, le groupe ECR (nationalistes eurosceptiques, qui siègent à la droite du PPE, le groupe démocrate-chrétien) ne progresse que de 4 sièges (73) et le groupe ID (extrême-droite) de 9 (58). Ce n’est pas le raz-de-marée que l’on a décrit un peu vite, notamment en France, à la vue des seuls résultats nationaux.
3. UNE MAJORITE PRO-EUROPEENNE PRESERVEE
Les principaux groupes pro-européens – socialistes (S&D), libéraux et centristes (Renew) et démocrates-chrétiens (PPE) – continuent à dominer le PE, avec environ 400 sièges. Le groupe PPE, avec 186 députés, progresse de 10 sièges, ce qui est assez inattendu. Le groupe S&D, qui compte 135 membres, en perd 5, et limite les dégâts. Les groupes S&D et PPE, qui ont longtemps dominé l’assemblée et assuré une forme de cogestion de ses activités, reculent toutefois à nouveau quant à leur poids global au sein du PE : ils comptaient en effet 67% des sièges en 1999, 63% en 2004, 61% en 2009, 55% en 2014, 47% en 2019 (avec les députés britanniques) et un peu moins de 45% désormais.
Le groupe Renew connaît un net recul, notamment en France du fait de la déconvenue de la liste Renaissance. Il passe de 102 à 79 sièges, mais conserve la troisième place au sein du PE. Il ne pourra plus jouer le rôle pivot de « faiseur de majorités » qui était le sien en 2019 ; son influence sera plus réduite encore si le VVD, qui a choisi de gouverner avec le PVV de Gert Wilders aux Pays-Bas, quitte le groupe, comme l’avait exigé Valérie Hayer.
Ces résultats laissent penser que la coalition informelle entre S&D, Renew et PPE, qui dominait le précédent PE, va perdurer. Un temps, les responsables du PPE – notamment le président du groupe, Manfred Weber, et la candidate du PPE à la présidence de la Commission, Ursula von der Leyen – ont envisagé la possibilité de gouverner avec le groupe ECR, ou une partie de celui-ci. Du côté du groupe ID (extrême-droite, dominé par les élus du RN) on entendait aussi en finir avec le « cordon sanitaire » qui le tient à l’écart de toutes les négociations politiques depuis les années 1980. Mais la majorité préservée de l’alliance S&D, Renew et PPE rend le scénario d’une coalition formelle à droite improbable.
4. UN RECUL DES VERTS
Les Verts ont perdu 18 sièges, et n’ont désormais que 53 députés, conséquence d’un déclin particulièrement fort en Allemagne et en France. Ils ont été victimes d’un certain nombre de décisions européennes ou nationales motivées par la lutte contre le dérèglement climatique (prix de l’énergie, fin des moteurs thermiques, remplacement des chaudières fonctionnant avec des énergies fossiles en Allemagne…) et d’une campagne virulente de la part de l’extrême-droite et d’une partie du PPE. Ce dernier, qui avait intégré les préoccupations environnementales en 2019, a fait campagne en présentant les écologistes comme des ennemis politiques. Dans ces conditions, la coopération du PPE avec les Verts, notamment pour l’investiture de la présidente ou du président de la Commission, va être rendue très difficile.
5. QUELLE MAJORITE POUR ELIRE LE PRESIDENT DE LA COMMISSION ?
C’est désormais le principal enjeu de la vie politique de l’Union : quel candidat sera capable de trouver 361 voix (la majorité des membres du PE) pour être élu à la présidence de la Commission européenne ? D’un point de vue arithmétique, les groupes S&D, Renew et PPE disposent d’assez de voix pour investir un candidat (autour de 400) mais, en 2014 et en 2019, environ 13% des députés n’avaient pas suivi les consignes de vote de leur groupe, et des surprises sont possibles. Ce scrutin est en effet secret, ce qui permet aux élus d’échapper aux pressions de leur groupe. Ainsi, en 2019, Mme von der Leyen n’avait obtenu que 9 voix de majorité, bien moins qu’espéré.
C’est la raison pour laquelle elle s’est rapprochée de Mme Meloni, qui pourrait lui apporter les 24 voix de Fratelli d’Italia (ECR) en vue d’un second mandat. Mais les groupes S&D, Renew et Verts ont adopté une motion pour affirmer leur refus de collaborer avec le groupe ECR, et certaines délégations du PPE ont exprimé des réticences similaires. C’est le cas des députés de la Coalition civique polonaise, désormais au pouvoir, pour lesquels il est inacceptable de travailler avec le PiS (ECR). Le contexte politique en France rend aussi impossible une coopération entre Renew et le groupe ECR – où les députés Reconquête ! iront siéger. Enfin, le parti Fidesz de Viktor Orban, qui siège pour l’heure chez les non-inscrits après avoir quitté le PPE, pourrait rejoindre les rangs du groupe ECR ; en pareille hypothèse, une collaboration entre PPE et ECR pourrait coûter à Mme von der Leyen plus de voix qu’elle ne lui en rapporterait.
6. DES MAJORITES PLUS DIFFICILES A TROUVER
Le problème est plus global, car le PE est plus fragmenté qu’en 2019. Le nombre de groupes n’augmente pas (7, plus les non-inscrits), mais les écarts de taille entre eux se réduisent, ce qui signifie que l’obtention de majorités devient plus complexe. Avant 2014, il suffisait en effet aux groupes S&D et PPE de s’entendre ; depuis 2019, ils sont contraints de négocier avec d’autres groupes pour assurer leurs arrières (Renew, Verts, GUE). A présent, les configurations seront encore plus instables. Au PE, les textes ont toujours été adoptés à l’issue de négociations au cas par cas, avec des dynamiques variables selon les sujets. Toutefois certaines configurations étaient récurrentes, ce qui accélérait l’obtention de majorités. Par exemple, les groupes pro-européens s’entendaient aisément pour unir leurs voix sur les questions socio-économiques, institutionnelles et internationales, mais d’autres majorités émergeaient souvent sur les questions de société, le budget ou la protection de l’environnement. Les choses seront encore plus complexes à l’avenir. On peut s’attendre à ce que les députés de droite (PPE, ECR, ID), qui ont déjà voté en commun sur certains textes dans le précédent PE, unissent leurs forces sur des sujets pour lesquels leurs vues sont proches, tels que l’immigration, la politique environnementale ou les questions de société. Les lobbies de l’industrie et de l’énergie seront sans doute à la manœuvre pour tirer parti de cette situation, et notamment pour rogner les ailes du Green Deal.
LES PROCHAINES ETAPES...
Les choses vont se clarifier assez rapidement. Du 13 au 15 juin, les chefs d’Etat ou de gouvernement français, allemand et italien, de même que les présidents de la Commission et du Conseil européen, se retrouveront pour le G7, et pourront commencer à évoquer la question des « top jobs » : présidences de la Commission et du Conseil européen, Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères, et, possiblement, vice-présidences exécutives de la Commission. Il s’agira de trouver un équilibre politique et géographique. Le Conseil européen se réunira de manière informelle le 17 juin, pour analyser les résultats des élections, définir son « Agenda stratégique » – document destiné à influencer le programme de la future Commission – et réfléchir aux nominations. Le nom des candidats pourrait être annoncé à l’issue du Conseil européen des 27 et 28 juin ; dans ce cas, le PE pourra se prononcer sur le nouveau leader de la Commission dès sa session constitutive, le 15 juillet. Dans le cas contraire, les nominations pourraient attendre la rentrée, afin de trouver un accord global pendant l’été et de s’assurer de l’existence d’une majorité au PE.
Olivier Costa
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